Toulouse a toujours renfermé un millésime de groupes auquel Le Musicodrome est particulièrement attentif. Découvert en 2008 au Rockstore en première partie d’Asian Dub Foundation, Anakronic Electro Orkestra, présenté à l’époque sous l’acronyme A.E.O., cultivait déjà cette facette sombre, un métissage des cultures de l’Europe de l’Est incorporée dans une musique électronique raffinée aux frontières de la fusion. Deux ans après leur premier album « Speak With Ghosts », Anakronic Electro Orkestra revient avec son second essai, « Noise in Sepher », qui n’a pas fini de nous étonner.
En l’espace de deux années de travail, il semblerait qu’Anakronic Electro Orkestra est réussi à gommer les principales limites de son premier opus : « Speak With Ghosts », malgré sa qualité certaine, réussissait à captiver l’auditoire par son electro à tendance balkanique-klezmer, à la fois planante (par ses influences dub) et surtout lyrique. Le manque de finition de l’ensemble nous poussait pourtant à croire que le groupe était encore en rodage… ce que ne faisait pas ressortir, par exemple, les débuts d’Ez3kiel.
Mais avec la volonté de clairement se démarquer des groupes sévissant dans ce registre, Anakronic Electro Orkestra a pris ses aises sur « Noise in Sepher ». Laissons aux Ez3kiel et Näo des registres qu’ils maîtrisent pour pleinement s’épanouir : les cinq toulousains partent donc au-delà des genres pour se créer une réelle identité. Entre drum’n’bass, hip hop, rock, electro et autres influences urbaines, A.E.O. a décidé de partir en guerre. L’arbre ne cache plus la forêt, les armes, elles, sont dévoilées. Ça fracasse, ça martèle, c’est parfaitement dosé et bien équilibré en inéquation avec les musiques traditionnelles d’Europe de l’Est.
Le titre éponyme, décliné en deux parties, dégage à lui tout seul les futurs attraits d’Anakronic Electro Orkestra qui risquent de tout retourner sur scène : Noise in Sepher Pt.1, emprunt d’une musique klezmer (musique traditionnelle juive d’Europe centrale et de l’Est) sans détour, se voit subitement encercler par les machines à coup de dubstep bien léché. Sa deuxième version, assaillie par le flow « rappeux » de Taron Benson, a le don de libérer une flopée de grosses vibrations.
Presque sous le choc de ces premières minutes d’assaut, inutile de croire qu’A.E.O. souhaite agiter le drapeau blanc : avec des guitares bien affûtées, un côté rock enveloppe le champ de bataille sur Schrödinger, (E)Met ou encore KR for Things to See où la clarinette tente tant bien que mal de garder le cap. Pourtant, impossible de reculer. Les sonorités finissent par exploser de toutes parts : d’un accordéon fou à une ligne de basse démoniaque (Samâ), une déferlante de claviers et de drum’n’bass détruit tout sur son passage… Même avec un genou à terre, le combat se poursuit : amenée par les chants Yiddish, la transe Invidia d’Anakronic Electro Orkestra jongle astucieusement entre les différentes influences travaillées par le groupe, le tout gorgé de beats à foison.
A côté de ces véritables cocktails molotov, Anakronic a fait le choix de se laisser bercer par d’autres sonorités : du scratch aux machines qui se font doubler par le hip hop (Lady Mydriasis) ou être tout simplement spectateur de la course infernale entre violon/basse/clarinette/batterie… et dubstep, Uruk a de quoi scotcher sur place par ses fluctuations de rythmes !
Si l’intensité est le maître mot de cette nouvelle galette, Anakronic Electro Orkestra se transforme aussi en apprentis sorciers des synthétiseurs et autre sampleur d’une efficacité redoutable. Et n’allez pas croire que le tout sombre dans la facilité : l’acoustique se mêle toujours aussi bien à l’électronique, avec des morceaux parfois plus sombres que d’autres. Free Klarinet Screamin’ in My Brain est une belle parade survitaminée et saccadée, avant que des perles pointent le bout de leur nez : Cabbalistic Snare, voguant entre le trip hop, le jazz et l’electro acoustique, est une véritable bombe avant que African Trip (en featuring avec Lisa Gutkin) s’offre un tour de piste reggae/dub soupoudré des soubresauts d’un violon. Bluffant.
Ce second opus, « Noise in Sepher », est clairement à la limite de l’hypnotique. Condensé d’énergie littéralement surprenant, Anakronic Electro Orkestra fusionne les genres pour mieux les apprivoiser. Techniquement au point avec une production minutieuse, les toulousains viennent de prendre tout le monde à contre-pied. Et nous aussi.
Anakronic Electro Orkestra, « Noise in sepher », disponible depuis avril 2013 (43 min.)