Des paroles sensées, un flow de qualité, une performance maîtrisée et une disponibilité appréciée : Bigflo et Oli, les deux jeunes frères toulousains, ont enflammé le Marché Gare ce samedi 21 mars. Le Musicodrome s’est délecté et a même pu profiter d’une interview (à retrouver ci-dessous).
Un vent de fraîcheur soufflait sur le Marché Gare en ce samedi soir. Le festival des Chants de Mars avait programmé une soirée qui flairait bon la relève du rap français. Une simple table posée à l’entrée en guise de billetterie, une buvette et une salle de 300 places qui assurait une réelle proximité avec les artistes : installé dans les anciens bâtiments du Marché de Gros lyonnais, le Marché Gare donnait le ton d’un concert chaleureux qui respirait le rap sincère et authentique. On pouvait facilement s’imaginer en précurseur dans une de ces salles underground où tous les grands rappeurs ont fait leurs premiers pas.
Billie Brelok, jeune rappeuse de Nanterre, a assuré une première partie appréciée, tant pour son flow que pour son originalité. Mais les deux stars de la soirée étaient bien Bigflo et Oli, d’habitude davantage habitués aux premières parties des grands noms du rap (« On a fait des premières parties à des MC’s plus mauvais qu’nous » rigolent-ils dans L’héritage), Orelsan et IAM en tête. Bigflo et Oli, ce sont « deux petits jeunes qui font du rap à l’ancienne » : Florian Ordonez, 21 ans, et Olivio Ordonez, 18 ans, toulousains métisses d’une mère d’origine algérienne et d’un père argentin usent de leurs origines cosmopolites pour offrir un rap riche et varié. Rendus célèbres par leur Rap Contenders en 2011, ils ont depuis multiplié les succès YouTube jusqu’à sortir leur premier EP « Le Trac ». À la fois compositeurs, instrumentistes et paroliers, ils impressionnent par la vitesse de leur flow, la poésie de leurs paroles et l’instrumentalité de leurs sons. Inspirés par le rap à l’ancienne, IAM en tête, Bigflo & Oli sont en marge de l’actuel « rap game » et son bling-bling, ses belles voitures et son langage vulgaire. Au contraire, nos deux toulousains s’inspirent de leur vie quotidienne pour rapper des chansons qui nous parlent et des storytelling qui touchent. Alors, en attendant la sortie de leur premier album en mai « La cour des grands », ils ont fait ce samedi soir ce qu’ils savent faire de mieux : enflammer un public connaisseur en proposant une performance variée de grande qualité. Récit.
Dès l’intro, on sentait que les deux frères n’en étaient pas à leur début sur scène. Le violoncelliste – ami du conservatoire où Oli jouait de la trompette et Flo de la batterie – et le beatmaker lancent parfaitement l’entrée des deux toulousains, sur Jeunesse influençable. Ensuite, en alternant moments énergiques et puissants avec leur célèbre Gangsta et le plus profond Monsieur Tout le Monde, BigFlo et Oli prouvent toute la diversité qui les caractérise. En kickant sur une instru de Booba (Le rap avant la tempête #1), ils n’hésitent pas à clasher le rap game actuel et assument pleinement leur rôle de relève du rap français. Mais l’étendue de leur talent ne s’arrête pas à la qualité de leur joute verbale et à la rapidité de leur flow. Oli en solo à la trompette (Pourquoi pas nous) rappelle alors toute l’influence que le jazz peut avoir sur leur musique. Plus tard, Bigflo rappe seul une chanson écrite à 17 ans, mettant une fois de plus en exergue la précocité de leur talent. Le concert n’en est toujours pas à son paroxysme. En invitant un spectateur à backer leur chanson et en freestylant au milieu de la foule, ils confirment leur maîtrise de la scène. Mieux encore, ils offrent un clash d’une finesse rare, divisant le public en deux, chaque côté supportant un des deux frères. Quand Bigflo lance à Oli : « Ne croyez pas ce type non, c’est que du bluff. Il s’appelle Oli, mais quand il est au lit, c’est jamais avec une meuf ! », le cadet lui répond que « pendant le passage solo, le public s’est trop marré car [il a] la tête à Gainsbourg et le corps à Stromae » avant de conclure : « Il drague tout ce qui bouge, c’est un chaud lapin. Si on s’appelle Bigflo et Oli, c’est qu’on garde le meilleur pour la fin » ! L’arrivée de Jhon Rachid, humoriste particulièrement acerbe envers les rappeurs commerciaux, sur scène sur leur nouvelle chanson Nous aussi, finit d’enflammer le public. Après une magnifique ovation, ils peuvent quitter la scène du Marché Gare avec la sensation d’avoir su partager leur amour d’un rap sincère et sensé.
« On n’a pas la moitié de ton âge, tu n’as pas le quart de notre talent » ! Pas de doute, BigFlo & Oli sont déjà grands. La relève est bien assurée.
INTERVIEW
Simples, humbles et avenants, les deux rappeurs restèrent après le concert une heure durant à poser sur des photos et donner des autographes à leurs fans. Malgré la fatigue, Oli accepta même de nous accorder une interview, pleine de maturité et de simplicité. « Stressés » par la sortie de leur album, nul doute que le succès sera au rendez-vous.
Le Musicodrome : Alors, Oli, comment te sens-tu après ce genre de concerts ?
Oli : Super content. Une salle bien remplie, avec pas mal de personnes qui connaissaient les paroles. C’est ça qui fait le plus bizarre en fait… Vraiment, une super soirée. On était à Metz hier dans une petite salle bien remplie aussi. C’est cool, c’est le début d’une bonne chose je pense.
Tu te sens comment avec ton frère par rapport à la sortie de l’album ?
Un peu stressés parce que ça représente beaucoup. Depuis tous petits, on travaille dessus. On a sorti un EP de 5 titres (ndlr : « Le Trac ») mais ce n’est pas grand-chose. Ensuite, il y a eu beaucoup de clips sur Youtube. Mais là, c’est vraiment le commencement, le vrai truc qui sort. Je pourrai montrer à ma mère qu’on a vraiment fait un truc. Ce n’est pas que du vent, pas juste des paroles écrites dans notre chambre tous seuls. C’est un vrai projet.
Justement avec l’album, ça commence à être concret. Vous arrivez à en vivre maintenant ?
Maintenant on est intermittents du spectacle grâce aux tournées. Ça nous permet de pouvoir en vivre tranquillement. On espère pouvoir continuer à en vivre et continuer à faire de la musique. C’est un rêve qui se réalise. Si on m’avait dit que je pouvais vivre du rap à 18 ans, je ne me serais pas cru moi-même donc vraiment cool…
[Jhon Rachid : Est-ce qu’on peut dire que c’est l’album de la maturité ? (rires)]
Dans 10 ans, où vous voyez-vous à peu près ? Quels sont les plans d’évolution ?
Dans 10 ans, je n’ai pas 30 ans encore donc je sais pas trop.
Jhon Rachid : c’est une attaque ça !
Dans 10 ans, je n’ai toujours pas l’âge de Jhon Rachid (rires). J’espère continuer à faire de la musique, à être encore meilleur, à avoir bossé les textes comme un fou. Continuer à m’améliorer, faire des scènes avec mon frère. Toujours, encore plus grosses.
Qui écrit les textes plutôt ?
Moi, mon couplet. Flo, son couplet. Les refrains, on essaye de les écrire ensemble. Les textes vraiment nuls que t’entends pas sur l’album c’est Jhon Rachid (rires). C’est vraiment un travail à deux, chacun son couplet. Mais on est dans la même pièce, on se donne des avis. Le fait que ce soit mon frère, on peut vraiment tout se dire.
Quelles sont vos influences musicales dans le rap ? Quel groupe vous a vraiment marqué ?
On a beaucoup écouté IAM. C’est la phrase qu’on dit tout le temps mais nous, « L’école du micro d’argent », c’est un album qu’on a saigné. Ensuite, il y a beaucoup de trucs que j’adore : en ce moment, j’ai bien aimé le Kendrick Lamar. L’avant-dernier (« good kid, m.A.A.d city », 2012), le dernier aussi (« To Pimp a Butterfly », 2015) qui est pas mal. Le dernier album de J. Cole (« Forest Hills Drive », 2014) aussi est vraiment cool. Tu vois ce genre de rap, j’ai vraiment kiffé.
Jhon Rachid : Gradur aussi ? (rires)
Vous pouvez marquer que Jhon Rachid aime Gradur !
Vous avez pas mal clashé le rap actuel. Est-ce que parmi les autres rappeurs, certains ont pu faire des réflexions ? Comment ça marche dans le milieu ?
Bizarrement, j’étais…pas stressé mais un peu excité de sortir ça. Mais en fait, pas du tout. On n’a pas reçu un seul message. Quand on croise les gens qui peuvent être concernés, ils sont vraiment gentils. Je pense qu’ils comprennent notre délire. On n’est pas en mode « Fuck tout le monde », on est plus en mode « on est comme ça, on s’assume ». On peut faire du rap en étant différents ou sans toujours raconter les mêmes trucs un peu relous. Ce n’était pas vraiment un clash même si on aime bien piquer. Un peu d’égo trip fait aussi partie du rap. Mais bizarrement, je n’ai pas eu de problèmes encore.
Jhon Rachid : tu peux clasher tout le rap. Tu vois j’ai rien eu, je vis super bien !
C’est vrai. On en parlait avec Jhon Rachid en plus, lui qui a fait des vidéos où il pique un peu les rappeurs. C’est des petites piquettes. Et tu te rends compte au final que ces mecs-là n’assument pas complètement. C’est un peu dur ce que je vais dire, mais souvent en interview ils disent : « ouais mais il faut rigoler, c’est du second degré ». C’est souvent ça, malheureusement pour eux.
Tu disais que ce soir c’était cool parce que c’était une petite salle avec que de gens qui connaissaient les paroles. Justement, préfères-tu une petite salle où vous êtes les principaux chanteurs ou une première partie d’une très grande salle ?
Ça dépend, parce que j’aime bien aussi quand le public n’est pas conquis. C’est toujours cool de rentrer, de voir les gens qui ne connaissent pas trop. Le challenge est différent. Après le meilleur ça reste quand tu arrives, que les gens sont chauds etc. Ils sont là pour te voir, ils ont attendu. Moi j’ai assisté à beaucoup de concerts. J’adore être dans la foule. J’adore les ambiances concert donc ça me fait bizarre d’être vraiment sur scène. Les petites salles c’est le mieux !
Oli, merci beaucoup. Bravo à vous deux pour ce concert de folie. On vous souhaite beaucoup de réussite dans les années à venir.
Merci à vous, ça fait très plaisir.
Article et interview de Clem & Jo