Dans cette drôle de période, entre crise sanitaire, guerre en Ukraine et peste noire aux portes de pouvoir, EZ3kiel se présentait à Paloma de Nîmes le 31 mars pour nous réchauffer le cœur. Avec un dernier album atypique sorti en début d’année, cette soirée s’annonçait étonnante. Et elle l’a été !
Si l’on s’attendait à avoir des surprises en ce jeudi soir, on ne pensait pas en avoir une d’emblée : faute d’affluence, Paloma sortait ses gradins escamotables pour remplir l’espace. Un peu frustrant après cette looongue période forcée aux concerts assis/pas bougés. Cette déception passée, on se précipite à l’intérieur pour éviter le froid glacial du moment.
La bonne nouvelle, c’est que nous allons pouvoir profiter pleinement de la première partie, Bruit, qui a la mission de nous réchauffer. Le groupe, 100% instrumental, se met en place avec 3 musiciens de front et le batteur en arrière-plan. Un large écran envahit le fond de scène, le décor est planté. Bruit nous joue des tours en démarrant son concert avec du violon. En un tour de passe-passe, une electro/rock supersonique s’invite sur une toile noir et blanc. Asphalte et bitume nous font mordre la poussière avant de laisser percer la lumière : le rouge démarre la destruction du système, violon en écho, basse qui résonne, un paysage digne de mars prend place.
Les morceaux s’enchainent sans temps mort : 4 silhouettes sculptent la nuit, un blanc éclatant apporte la un sursaut au cours d’une ballade qui redevient rugueuse. Le couleurs finissent par se mélanger, les influences aussi, et c’est un rock volcanique qui déboule ! De ce chaos né la vie où une envolée lyrique s’amorce, entre violon et contrebasse. Elle s’anime de 1 000 couleurs au terme d’un nouvel assaut de ses protagonistes, entremêlés d’éclairs de lumière qui viennent nous chercher un à un. Ce grand frémissement procuré va pourtant s’évanouir d’un coup, après 35 minutes de show non-stop. Ce dernier sera ponctué par un feu d’artifice sonore, presque trop fort sur cette ultime compo d’ailleurs, avec The machine is burning. Boosté à une sauce post-rock, presque Mogwaï-ienne dans « Atomic », nos yeux se braquent sur les déboires du monde. Puissant ! Bruit est une vraie découverte. Pour ceux qui en voudraient davantage, le groupe vient de sortir très récemment son premier album que l’on vous recommande vivement d’aller écouter.
Après cette première partie finalement très influencée par les univers de Mogwaï, d’EZ3kiel (deuxième vague !) ou encore de Näo/Nohoï pour des plus petits groupes, c’est avec une configuration inédite que les tourangeaux se présentent dans la Grande Salle de Paloma. Désormais adepte de l’album-concept pour chacune de ses nouvelles créations, EZ3kiel a pris son public (encore !) à contre-pied avec « La mémoire du feu », son dernier album ‘post-chanson’ comme ils aiment le définir. Après l’électro/rock de « Lux », c’est cette fois une influence ‘chanson française’ qui imprègne l’atmosphère. Premier élément à retenir.
Le deuxième, c’est que l’équipe a forcément changé, en partie du moins, pour être en adéquation avec ce nouveau projet : on retrouve les membres historiques du groupe (Johan Guillon, Stéphane Babiaud et Nicolas Puaux, le plus récent) et trois nouveaux, à savoir Jessica Martin-Maresco (chant, claviers), Benjamin Nerot (chant, guitare) et Jean-Baptiste Fretray (basse).
Enfin, le troisième, c’est que l’album « La mémoire du feu » est un album proche du polar, puisqu’il a été imaginé comme une histoire avec leur ami-écrivain Caryl Ferey : une histoire que l’on écoute dans un ordre précis pour en comprendre ce qui se trame, comment les deux héros, Diane et Duane, se confrontent à la vie.
Elle est longue cette mise en contexte mais elle est nécessaire tant elle peut surprendre une partie du public d’EZ3kiel qui, parfois, peut se retrouver perdu. Sans véritable surprise, le groupe nous invite à découvrir son polar-musical en suivant la tracklist de son album, cohérence de l’histoire oblige. Là où l’on attend forcément au tournant EZ3kiel, c’est forcément sur sa mise en scène : on connait la force de frappe de ces artistes aux multiples facettes, on sait très bien l’ingéniosité et la créativité qui les animent ! Rappelez-vous l’incroyable structure qui accompagnait la tournée de « Lux » ! En prenant place dans les gradins, on a beau eu bien observer la technique, rien ne sautait vraiment aux yeux. Il y avait bien ces curieuses lampes disposées en fond de scène, mais pas plus. Le premier morceau, Diaphane, très sobre, très fidèle à l’album, ne suscitait pas forcément un « waouh » au niveau des lumières…
Puis l’univers se met en place. A chaque nouvelle compo qui s’enchaîne, la machine hybride d’EZ3kiel prend le pouvoir. Les thèmes abordés dans chaque titre renvoie à des jeux de lumières spécifiques, avec des effets tout simplement incroyables ! Décrire ces différents effets serait tout simplement gâcher l’immersion que procure ce spectacle bâti pour s’évader.
Car, c’est évident malgré cette facette chanson qui enveloppe EZ3kiel sur cette tournée, l’ADN du groupe est bien là, plus que jamais : les envolées instrumentales transpirent les sonorités, l’identité musicale d’EZ3kiel depuis une dizaine d’années. Cette longueur de guitares, ces envolées rock digitales qui s’emballent, tout y est, mais différemment.
Après un peu plus d’une heure et quart de concert, le rappel nous fera presque penser que EZ3kiel va nous quitter ainsi : c’était sans compter sur le fait que tout cet album n’avait pas encore été joué (comme le morceau éponyme La mémoire du feu), mais pas que. Là où certains groupes, quand ils sortent des albums-concept se cantonnent strictement à leur album-concept, c’était mal connaître les tourangeaux !
Le rappel boucle la boucle de « La mémoire du feu » de manière admirable et il y glissera plusieurs pépites : nous aurons droit à une nouvelle version, plus douce, de Spit of the ashes, issu de l’énorme « Battle field » (2011) ; à Barb4ry, crépitant et décapant, de l’album du même nom… Et pour un album autour de la chanson et du rock, quoi de mieux que de s’offrir une revisite de Des dingues et des paumés, d’Hubert-Félix Thiéfaine ?
Des génies, tout simplement.
Crédits photos : Photolive30