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Triste été. Les festivals, qui ont l’habitude de fleurir tout au long de la période estivale, n’ont pas pu résister à la crise sanitaire du Covid-19. Seuls quelques-uns ont réussi à vivoter, non sans concessions, pour faire en sorte que le mot « culture » ait encore un sens. Là où beaucoup pensaient que la rentrée serait synonyme, enfin, de retour à la normale, le couperet semble inévitable : il va falloir encore patienter avant de remettre le nez dehors dans un festival. Du côté d’Aix-en-Provence, dans les Bouches du Rhône, le festival du Tour du Pays d’Aix compte bien souffler sa 22ème bougie en 2020.
Cela fait plus de 20 ans que le festival du Tour du Pays d’Aix (TPA pour les intimes), porté par l’association Aix’Qui, sillonne les villes de l’agglomération du Pays d’Aix avec un objectif bien défini : organiser des concerts dans des communes n’ayant pas forcément d’installation à demeure. L’association, missionnée par l’agglomération et le Conseil du Territoire de la métropole Aix-Marseille Provence, reçoit une subvention pour faire un festival itinérant sur le Pays d’Aix.
Celui-ci est constitué de près de 38 communes et chaque année, entre 6 et 8 communes voient un concert organisé sur leur sol (l’idée étant d’alterner au fil des années). La formule ? Elle est bien huilée ! Benoit Laisney, directeur administratif du festival, la présente : « le concept est de proposer un triple plateau avec une tête d’affiche internationale ou nationale, un groupe en voie de développement et, dans la mesure du possible, ouvrir avec un groupe amateur de la ville où l’on passe ». Les organisateurs y voient-là un bon moyen de créer une « synergie au niveau local » car, pour maintenir le lien avec le territoire, les concerts sont aussi « organisés avec le tissu associatif local ».
A chaque préparation de nouvelle édition, les premiers axes de réflexion du festival sont de trouver les communes pouvant accueillir une soirée de concerts (en mars/avril) en enchainant avec la programmation. Cette année, crise sanitaire oblige, il y a eu un changement de stratégie où « l’acrobatie a été d’avoir une armature déjà faite pour se réapproprier le lieu en temps de Covid ».
A un peu moins de 2 semaines du festival, organiser la 22ème édition du festival du Tour du Pays d’Aix relèverait presque d’une équation à plusieurs inconnues. D’abord, « même en suivant toutes les recommandations et les règles sanitaires, il n’existe pas une règle du jeu, édictée, qui nous dit ‘si vous suivez ce protocole-là, vous pourrez assurer votre concert' » alerte Benoit. Les autorités insistent sur ce fameux seuil des rassemblements de 5 000 personnes à ne pas dépasser et les Bouches-du-Rhône sont passées en zone active de circulation du virus. « La Fiesta des Suds, à Marseille, vient d’être annulée car un décret est passé stipulant ‘pas de manifestation debout’. Nous, on avait fait une première demande pour le TPA, on attend toujours le retour de la Préfecture. Et à côté de ça, il y a la Foire Internationale de Marseille, où tout le monde va être debout, en mouvement, qui va avoir lieu ! C’est le flou total ! ».
L’anticipation devient donc le maître-mot pour avancer. Depuis début août (déjà), l’équipe cherche à faire en sorte que ses deux plus grosses soirées puissent avoir lieu : il a donc été proposé à la Préfecture d’organiser la soirée d’ouverture avec Hilight Tribe, en extérieur, sur le parking du 6mic ; et celle de Kanka/Biga*Ranx/Flox sur le parvis de la salle de La Roque d’Anthéron. Niveau autorisation, « les mairies ont déjà donné leur accord. Désormais, on attend celui de la Préfecture… Sachant que nous sommes désormais en extérieur, le protocole devrait être assoupli » espère Benoit.
Pour sauver ces deux soirées, le passage en extérieur, debout, est la seule alternative vraiment envisagée : « installer des chaises sur le parking du 6mic… waouh, ce serait une hérésie ! ». C’est une évidence, que ce soit par les genres musicaux de ces groupes, mais aussi « parce que cela peut vite devenir dangereux avec des chaises, des gens qui se lèvent, et tout peut devenir rapidement dur à gérer » constate le directeur. Tandis que 3 000 personnes peuvent se regrouper, en temps normal, sur le parking du 6mic, les organisateurs ont donc proposé une jauge réduite, avec distanciation sociale, à 800 personnes.
Pour les autres concerts, des réflexions ont été aussi menées pour repenser leurs maintiens : par exemple, à Cabriès, le concert de Melissmell avait été prévu, d’emblée, en configuration ‘assise’. Si les organisateurs veulent assurer la tenue du concert, des chaises seront donc laissées vides pour garantir la distanciation sociale. Un passage de 175 chaises à 100 est prévu… mais est-ce viable financièrement ? « Il y aura un gros manque à gagner mais sur les toutes petites jauges, ça peut passer » souligne l’intéressé qui rappelle, aussi, que le festival est subventionné.
Mais les coûts dépassent le cadre même de la réalisation du concert ou non. Et les interrogations persistent : notamment sur le fait que si le concert n’a pas lieu, que devient la subvention ? Aujourd’hui, le discours est « si le concert n’a pas lieu, tous les acteurs seront payés. Ok ! Mais concrètement ? » questionne Benoit. L’exemple avancé est parlant : environ 15% du budget du festival du TPA part dans la communication. Si l’édition 2020 est finalement annulée, ces 15% risquent bien d’être perdus… « Il y a la volonté politique d’aider. Maintenant, il va falloir que la volonté politique rencontre le cadre juridique et, là, c’est un autre domaine ! ». La patience est donc de rigueur…
Kanka au festival de la Meuh Folle 2016 à Alès (30)
Concernant les recommandations sanitaires, à quoi faut-il s’attendre pour venir assister au festival du Tour du Pays d’Aix ?
Lors de l’interview (réalisé le 9 septembre 2020), les éléments évoqués n’étaient pas encore définitifs et ceux-ci peuvent encore évoluer d’ici la tenue du festival à la fin du mois. En plus de la distanciation sociale, voici une synthèse des points présentés :
- Port du masque obligatoire pour toute personne étant présente dans les différents lieux du festival. Une consigne forte sera appliquée : si une personne enlève son masque, elle sera immédiatement exclue du festival et ce sans discussion.
- Gels hydroalcooliques, en quantité, à tous les endroits possibles du site,
- Nombreuses poubelles installées pour que tout ce qui a été touché par les festivaliers puisse être facilement jeté,
- Prise de la température à l’entrée en cours de questionnement. Aujourd’hui, la tendance tend pour sa non-application à cause de son facteur anxiogène. Et pour de bonnes raisons : « que faire si quelqu’un a de la température et que ce n’est pas du au Covid ? Si quelqu’un pense avoir tous les symptômes du Covid, il ne faut pas qu’il vienne ! ».
Benoit Laisney rappelle, aussi, « qu’il y a une très grosse responsabilité mise sur les organisateurs autour des gestes barrières ». Pour lui, et nous partageons aussi cet avis, il faudrait aussi parler « de responsabilité publique ». Et il en est conscient : « si un des rares festivals qui a pu avoir lieu en 2020 est, dans quelques mois, un cluster, cela va avoir des répercussions sur son image, sur tous les autres événements… et sur toute la chaîne musicale ! ». Il en profite, d’ailleurs, pour lancer une pique contre certains organisateurs de soirées marseillaises où les gestes barrières n’ont pas été respectés : « les conséquences sont que, nous, acteurs à l’année, nous nous retrouvons punis à cause de ceux qui n’ont pas travaillé dans les règles cet été ». Le passage, précoce, de Marseille et des Bouches-du-Rhône en zone rouge le mois dernier, n’est pas anodin, il y a eu à certains niveaux une défaillance en matière de responsabilité.
Pour soutenir les initiatives en cours, Benoit Laisney insiste sur un élément qui constitue l’élément central de nos reportages consacré à l’impact du Covid-19 sur la culture : ce qui aidera à sauver le secteur, ce sont les festivaliers. « Ils doivent revenir dans les salles, de manière responsable, et aller voir toutes formes de concerts qui peuvent avoir lieu. La machine repartira avec les petites jauges, et c’est déjà un peu le cas ! » conclut-il.
C’est bien tout le mal qu’on leur souhaite !
Propos recueillis par Aïollywood le 9 septembre 2020. Un grand merci à Benoit Laisney pour le temps accordé et sa disponibilité.
Pour en savoir plus :
*Facebook Festival Tour du Pays d’Aix : ici
*Site internet de la salle de concert 6MIC : ici
*Site internet de l’association Aix’Qui : ici