Perdido en el corazón
De la grande Babylon
Me dicen el clandestino
Por no llevar papel
Ce n’est pas au coeur de la grande Babylone mais au fin fond de la Creuse que Manu Chao est venu se perdre, ou plutôt se retrouver, en vagabond clandestin. Pourtant, l’aérodrome de Guéret ne passait guère clandestinement en ce samedi ensoleillé : plus de 10 000 sans papier s’étaient rassemblés pour gueuler avec Manu. Point culminant du festival, voire du département, Manu Chao et sa Ventura ont déroulé plus de deux heures d’un concert explosif, où les classiques s’enchaînent et la foule se déchaîne. De Minha Galera aux Rues de l’Hiver, Manu a étalé son répertoire avec un engagement qui transpirait la chaleur des rues de Barcelone et respirait l’humus révolutionnaire des forêts du Chiapas. La foule a chanté, la foule a sauté, la foule a aimé. “Les sentiments de la foule sont toujours très simples et très exagérés” disait Freud. Avec Manu Chao, ils sont surtout follement beaux.
Mais pour venir danser sur la piste et succomber à la belle à Chao, il fallait avant cela patienter de longues heures sur une N145 qui a connu des records de ravito 8.6. Avec le plus long embouteillage de l’histoire du département, le Clandestino portait bien mal son nom dans la fournaise creusoise. De notre côté, c’est par un sentier VTT tout azimut que nous éviterons l’infinie file de guimbardes : ¡Hasta Siempre laOpel!
Pour sa première édition, sans aucune subvention, le Clandestino avait en effet vu grand. Le large site de l’aérodrome offrait un vaste espace de liberté au coeur des monts de Guéret. Surtout, la programmation pouvait faire saliver un bon nombre de festivals qui ont de la bouteille : samedi, la britannique Morcheeba et le punk rock de Ludwig von 88 faisaient grimper le thermomètre avant Manu Chao, alors que le dimanche s’annonçait presque encore plus fou.
Pendant ce temps-là, autour d’un petit buffet organisé par l’équipe du festival, nous profitions de la disponibilité de Tetra Hydro K pour échanger sur sa vision du dub et son rapport viscéral à la musique (interview ci-dessous).
Mis en appétit par les mots de Tetra (et le buffet), on file direction le soundsystem pour skanker sur les basses de Full Dub, THK ou Mahom. On parcourt le village solidaire, on rigole avec les copains et on patiente gaiement avant le grand débarquement.
La patience, parlons-en ! Pour prendre une bière, un burger ou faire le chemin inverse, il valait mieux ne pas se faire de mourons. Le manque flagrant de bénévoles et l’organisation freestyle du festival rappelaient les mauvais travers de la clandestinité. Pour une première édition, avec un tel panel d’artistes et sur un site particulièrement agréable, les défaillances logistiques sont pardonnées. Elles sont surtout, comme toujours, magnifiquement compensées par la bonne humeur collective, véritable fait social de ce genre de festival.
Le dimanche, après avoir aidé Jean-Mi, ancien parmi les ‘ciens, tee-shirt des Bérus sur le dos, à “retrouver son scooter” (“Mais putain qu’est ce qui fout là ?” – encerclé d’orties hautes trois mètres sous un pont), nous nous approchons de la grande Cène pour participer à la messe musicale des rastas d’Inna da Yard, venus remplacer Israel Vibration au pied levé. Cedric Myton des Congos, Winston McAnuff, Kiddus I et autres génies du reggae jamaïcain saluent le public et entonnent une prière mystique, a capella. “Nyabinghi style” annonce Kush McAnuff : cette percussion ancestrale, marque de fabrique du reggae roots de l’île verte, fait résonner ce retour aux sources entre amis que symbolise Inna da Yard. Échangeant tour à tour les instruments et le micro, les anciens entonnent leur Back to I Roots ou la somptueuse Let the Water Run Dry, malheureusement sans Ken Boothe. La voix des chanteurs et des choeurs, la danse de leurs corps comme de leurs dreads, la justesse rythmique des musiciens transcendent les esprits dans une catharsis joyeuse. Septuagénaire empli d’énergie, au sourire limpide et au corps toujours dessiné, Cedric Myton incarne particulièrement cette vitalité immortelle que porte Inna da Yard.
Après la sagesse d’Inna da Yard, la colère de Panda Dub. Plus proche de l’électro que du reggae roots, le dub du Panda annonce d’emblée le menu du jour : tartine de basses en entrée, gratin de basses en plat, et coulis de basses en dessert. Allez, les mélodies techno feront un excellent digo ! Avec un public toujours plus conséquent, le Panda a encore une fois tout retourné avec une énergie dingue. Le nuage de poussière comme bulle des rêves au dessus du public en attestait : les pieds ont tapé fort sur les tracks célèbres ou sur les nouvelles (Hush, Shankara de l’album “Shapes and Shadow”) du dubmaker lyonnais. Pendant le show du Panda, nous avons également la chance d’interviewer A State of Mind et Youthstar, le MC de Chinese Man. Leur travail d’écriture et leur rapport à la scène française seront notamment évoqués, le tout alimenté par l’humour barré des trois MCs.
Pour que le Clandestino garde sa saveur contestataire et son humeur libertaire, il fallait un autre gardien de la Révolution. Ou plutôt une gardienne, en l’honneur de Keny Arkana :
Lorsqu’est venu le moment d’accueillir Keny
La foule fait sentir son instinct de révolte
La grâce de sa gestuelle hip-hop nourri
A merveille la puissance de son énergie.
Sur scène, elle prêche son humanisme au parterre
Qui se soulève et s’unit comme un seul Homme fier.
Conscient, contestataire, et interrogateur,
C’est un rap toujours aussi révolutionnaire
Que nous offre notre marseillaise en colère.
La Rage du peuple est criée, presque crachée, par un public tout poing levé. Keny Arkana regarde cette révolte populaire avec force et détermination, tout ce dont elle a usé pour se barrer et fuir L’incendie.
Juste auparavant, on s’était cru dans les rues de Trenchtown au milieu des 70’s en échangeant quelques passes avec Var, musicien d’Inna da Yard, qui semblait avoir à coeur de perpétuer ce lien charnel entre Marley et le football. Autour de Keny Arkana, Biga*Ranx posait son flow à grande vitesse (FGV) et l’Entourloop offrait une performance scénique à la hauteur des samples revisités. Pour conclure ce week-end fou, Chinese Man prouvait une fois de plus sa puissance en live dans la nuit creusoise : Youthstar et ASM sautaient de partout sur les instru de Chinese. Le public ne désemplissait pas. Pour nous, il était l’heure de plier bagage : en bon clandestin, il ne nous restait plus qu’à éviter les mailles de la maréchaussée !
Soy una raya en el mar
Fantasma en la ciudad
Mi vida va prohibida
Dice la autoridad