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En 2013, Babylon Circus s’égarait sur les chemins de « Never stop » en s’inscrivant dans les sillages plus pop et plus lisses à l’image des derniers Boulevard des Airs ou encore Tryo. 7 ans plus tard et une longue pause pour repenser le groupe, les lyonnais reviennent un sixième album, « State of emergency », avec des plaies à panser.
Tout était calculé depuis des mois : en 2020, Babylon Circus soufflerait ses 25 bougies. Sous le chapiteau, le cap des 2 000 concerts ne serait pas loin et il y aurait des gosses partout, de la musique et du bruit. Et comme tout anniversaire, cela devra se fêter : une grande tournée partout en France est alors bouclée et, en plus de ça, il y a un nouvel album sous les bras. Par simplicité, la fameuse pièce manquante du puzzle discographique du groupe semble trouvée avec un live. Pourtant, le groupe déjoue les statistiques et annonce un nouvel album studio, « State of emergency », qui sort finalement le 18 septembre.
Tout était écrit. Finalement, 2020 est ce qu’elle est. La sortie de l’album est décalée, la tournée pratiquement annulée sauf à l’exception de quelques dates à l’automne (dont Nîmes, où Le Musicodrome était), et une trace musicale laissée par 13 nouveaux tracks. Le souffle se retient, le bouton play est pressé.
Le rideau tombe. Brutalement. Et dure est la chute.
Monster assène le premier coup. Une vague electro/pop déferle et nous laisse littéralement pantois… D’accord pour l’intensité, mais de là à saturer les voix pour dompter le monstre, est-ce vraiment nécessaire ? Cuckoo prend alors le relai et les tensions s’apaisent… mais ne dissipent pas les doutes : proche de l’univers electro/cuivré de Lyre le Temps, on semblerait se retrouver nez-à-nez avec Ry’m au chant. Puis enchaîne Dancing girl. Vous prenez tous les ingrédients du Boulevard des Airs de ces dernières années, vous les mélangez bien et, hop, comme par magie, vous obtenez… du Boulevard des Airs, avec Sylvain Duthu en prime !
Sincèrement, l’écoute de « State of emergency » aurait pu s’arrêter ici. Mais il faut parfois se montrer patient.
Les oiseaux de passage offre ce premier bol d’air tant attendu. Sur un texte écrit par Allain Leprest à Babylon Circus au détour d’un concert, le temps apparait comme suspendu. La poésie tutoie le ciel et la plume se met à danser sur une enveloppe nacrée presque jazzy. Première claque.
Et les sourires fleurissent.
Sur Rio Grande, Babylon Circus revient à ses fondamentaux avec la puissance des cuivres qui se retrouve à l’unisson avec l’accordéon, là où la chaleur latine ne demande qu’à s’exprimer. Même si on a bien compris qu’ils avaient envie de mettre davantage de touches électroniques dans leur musique, ils arrivent à jouer habilement au funambule sur State of emergency, digital certes, mais cuivré et entraînant. Actuel, plus que jamais, presque reggae/dub par moment, ce featuring avec Barry Moore reste une réussite. Et le suivant, avec Ben L’oncle Soul, aussi : Degeneration a le diable au corps et, sur un fond limite western-spaghettis, la machine ronronne.
Mais à force de jouer à l’équilibriste, on risque à tout moment de tomber : Fallin vient briser l’élan babylonien avec un morceau qui aurait pu figurer dans « Never stop » tant il semble dénoter avec les bonnes vibrations du groupe. Les riffs de guitare jouent leurs rôles mais le refrain, lui, est insipide, pendant que l’auto-tune s’invite également à la fête (1’52). Mais quelle mouche a bien pu les piquer ? Et histoire d’enfoncer le clou concernant les similitudes évoquées avec Boulevard des Airs, Babylon Circus récidive sur Tu n’écoutes même pas. Le morceau méritait une meilleure fin car il a le don de bien rester en tête… mais le refrain, chantonné à coups de « lalala », est une ressemblance avec BdA qui ne trompe pas !
Toutefois la partie n’est pas encore terminée : The partisan, où le micro partagé avec Adil Smaali d’Aywa, est certainement le meilleur morceau du disque. Sur cette revisite du titre original de Leonard Cohen, Babylon Circus se prendrait presque pour Emir Kusturica et rend hommage à la résistance et à la liberté de la plus belle des manières. Puissant !
Doucement, ce « State of emergency » glisse vers des jours meilleurs, comme sur Easy, où le groupe semble être à la recherche de repères qui paraissaient pourtant acquis. Dans cet écrin fragile rempli de questionnements, on aime les accompagner : à l’image de Fire drill, Babylon Circus a pourtant muté, entre machines et cuivres, en toute subtilité… Et le dernier round, avec le grand Cedric Myton des Congos, en est bien la preuve. « Rien n’est plus comme avant, qu’on se le dise » mais cette virée reggae/ska a des airs de « on lâchera rien ! ».
Qu’on se le dise, ce dernier album « State of emergency » est un opus assez inégal : il y a du très bon, du bon et du moins bon. Il traduit toute la difficulté de revenir sur le devant de la scène plus de 5 ans après l’avoir quittée. Il démontre, aussi, le dilemme artistique de faire suite à un précédent album qui a fait « pschitt ». Sur les cendres musicales de « Never stop », Babylon Circus a choisi d’en conserver quelques éléments sans en retenir sa globalité : le synthé occupe une place de choix sous le chapiteau du Babylon mais il n’éclipse pas forcément l’importance des cuivres et des soupçons de reggae qui l’anime.
« State of emergency » mérite qu’on lui laisse une chance !
Babylon Circus, « State of emergency », disponible depuis le 18 septembre 2020 (13 titres, 43 min) sur le label One Hot Minute.