20 ans de carrière. C’est une belle longévité pour Merzhin. C’est aussi une phase charnière pour un groupe qui vient de sortir son huitième album studio le 5 octobre dernier, « Nomades ». Le groupe, adepte depuis deux opus à des thématiques fil rouge pour guider l’écoute, va-t-il récidiver l’expérience ?
Après « Des heures à la seconde » (2015) et « Babel » (2017), Merzhin avait un beau challenge à relever : si le premier cité avait quelque peu déçu, le second montrait des signes de mieux avec un peps et un équilibre enfin retrouvés. Pourtant, il manquait toujours cette griffe synonyme de renouveau, de prise de risque, comme de repousser les frontières d’un genre musical qu’il maîtrise sans accroc.
Avec « Nomades », personne ne pourra nier que Merzhin a enfin sauté le pas : comme jamais jusqu’à présent les bretons ont paru aussi énervés. Le premier qualificatif de cet album est indéniablement « brûlant ».
« Brûlant » car la Terre suffoque.
« Brûlant » car l’humanité étouffe.
« Brûlant » car les sales idées gagnent, plus que jamais, du terrain.
« Brûlant » car Merzhin a décidé de basculer dans un rock sans concession.
En 13 titres, les bretons s’occupent de tailler le portrait d’une planète à l’agonie qui subit les caprices d’un Homme avide de pouvoir et d’argent. Doucement, il construit pièce par pièce sa barricade de l’esprit pour tenter de rester à flot.
Le titre d’ouverture, Standing rock, en est l’illustre exemple : comme si elle voulait rentrer au port, la galère des bretons est guidée par une trompette qui perce la nuit comme un phare le ferait en pleine tempête.
La Terre dépotoir, les droits de l’Homme piétinés, la pression finit par monter crescendo : « si rien ne les arrête, maudit soit leur tête ». Détraqué, l’Homme avance vers la déraison et Merzhin s’appuie sur des tracks très rock’n’roll pour passer en force : sur Substance, « ordre bestial qu’est l’apparence », l’argent inonde la pensée sans oublier que, Sans nous, l’instant d’après, les choses continueront bien sans nous.
Toujours en alerte, cela ne l’empêche pas de secouer encore, comme sur Nomades, la cause des migrants avec Kémar (de No One Is Innocent). Entre rock et bombarde, Merzhin a donc fait le choix de mettre de l’électricité dans l’air et c’est clairement assumé.
Si les morceaux sont percutant, autant musicalement que littéralement, la machine surchauffe un peu sur Le joueur et l’affranchi (bien que dans le thème de la cupidité) ou sur Encore raté (où l’homme court après le temps) avec un sentiment de redite par rapport aux précédents opus.
Dans cet amas d’intensité et d’influences, Merzhin n’oublie pas non plus d’où il vient : très attaché à ses racines bretonnes, il parvient à s’offrir un bain de jouvence avec 3 morceaux instrumentaux très celtiques avec Imala, Icapa et Imram (où ce dernier dégaine une cornemuse en folie).
Cette folie n’est pas anodine : elle est le reflet de véritables bombes qui se profilent sur la fin de l’album. Il y a le très réussi On marchera, véritable idéologie politique moderne où règnent les promesses perdues. Entre coups de passe-passe et de passe-droit, Merzhin glisse une pique contre Macron avec un rock qui a muté et s’est digitalisé. Il peut même devenir vieux briscard, façon baroudeur US, sur Driverman, chanson de malfrat à l’assaut du bitume.
Il peut aussi tutoyer les sommets avec L’attrape-rêves, d’une naïveté utopiste attachante, pour détruire nos cauchemars à l’aide d’un track très planant.
A l’image de son driverman, Merzhin entame un virage musical contrôlé qui lui confère une autre dimension qui risque bien d’exploser en live. Avec le recul, « Babel » amorçait déjà des prémices agités de ce que les bretons étaient en train de préparer. Si l’on peut regretter qu’il n’y ait pas de morceaux acoustiques désamorceurs comme Conquistador ou Sous la focale précédemment, « Nomades » est un bel album de résistance, pour les idées et pour l’esprit !