Mauresca Fracas Dub c’est la nouvelle recette du reggae occitan du Languedoc : souvent comparé à ses débuts au Massilia Sound System, les montpelliérains sortent pourtant en octobre dernier leur quatrième album, « Cooperativa ». Et se forgent surtout leur propre identité.
Les « Mauresca« , le « MFD« , les surnoms ne manquent pas… Le Mauresca Fracas Dub est devenu, de loin, le groupe le plus en vue de la capitale languedocienne. Montpellier orphelin depuis un petit bout de temps déjà de La Bronca, la clique de Bénezet, Chab, Drac, Massimo et Inti a désormais acquis un statut incontournable dans le paysage sudiste.
Cela fait plus de 10 ans que les Mauresca sévissent, les trois premiers albums Francament (2001), Contesta (2005) et Bartàs (2008) n’ont été qu’un fil directeur des idéaux clamés haut et fort par le groupe : c’est une aventure collective, une « coopérative » où les idées et la musique se mélangent. Proposer, tchatcher, se mélanger, s’ouvrir aux autres en militant et en chantant. Des valeurs pas étrangères à leurs potes du Massilia ou encore des Fabulous Trobadors. Peu importe, occitanistes avant tout, avec une identité régionale à défendre et des racines à ne pas oublier.
C’est à coup de raggamuffin, de sound system et de ragga occitan que Mauresca se fait entendre ! Car si les précédents opus nous avaient habitué à un son très festif et boulégant, Mauresca a clairement décidé d’amorcer un virage plus hip hop sur son petit dernier. C’est peut-être aussi par envie de se démarquer de ces « étiquettes » que l’on colle un peu trop facilement sur les nouveaux groupes aujourd’hui… Comme si essayer de s’accrocher durablement sur la scène musicale vous obligez à refaire toujours le même son. Ça s’appelle l’évolution, le renouvellement.
Sur Francament, Mauresca avait sorti sa première galette auto-produite, un peu avec les moyens du bord et c’est vrai, assez proche musicalement de leurs grands frères, Massilia. Cependant le MFD a su progressivement façonner la musique à son image. Contestà a été le premier véritable album et les gros « hits » n’ont pas tardé à exploser : impossible alors de passer à côté du groupe. Globalement, leur domaine de prédilection restait le reggae/occitan parsemé de quelques morceaux hip hop.
Bartàs était en tout cas déjà attendu comme l’album de la confirmation… qui en déçu plus d’un. Trop inégal, trop linéaire, malgré quelques brûlots incontournables (« Sauta », « Baraqueta », « Stéréotype », « Montpelliérain »). Mais les balètis engagés n’ont en rien altéré l’engouement autour du groupe. Bien au contraire.
En toute logique, l’arrivée de ce quatrième opus faisait saliver : retour aux sources ou virement intégral ? Grande question. En tout cas l’aspect « coopérative » a été poussé jusqu’au bout. La pochette de l’album a été entièrement réalisée en carton recyclé ! Il n’y a pas un brin de plastique dans cette quatrième galette, et franchement, ça a de la gueule ! Un travail effectué par une petite entreprise locale de Sète, le concept a été appliqué sur tous les maillons de la chaîne.
Et pour revenir à la musique, Mauresca a osé. Oui. Cela risque d’en décevoir plus d’un, forcément, les récalcitrants se manifestent toujours. Mauresca a évolué et marche tout seul. 16 titres, c’est devenu si rare aujourd’hui, pour une durée de 66 minutes. Un plaisir !
Un début d’album en trompe l’œil pour certain, tant les deux premiers morceaux rappellent l’esprit festif et jumpant du groupe : digne du temps de ses premiers pas, « La Cooperativa » lance le skeud de la plus belle des manières, à coup de basse et de beat salvateur. Un raggamuffin qui pose les fondations de la coopérative du Mauresca, qui a toujours existé en réalité : « c’est l’échange, la main forte, c’est ensemble qu’on y arrive ! Ta part, ta pierre apporte dans le bloc la coopérative ! ». Oui, c’est bien « le lien, le ciment, l’aventure… c’est l’entente » qui structure le collectif.
D’ailleurs « Fai La Rota » en dit long avec son riddim et ses « la vida es pas lo boulot, fai la rota minot ! » et pousse, à l’ancienne, à la fête ! On se serait cru une paire d’années en arrière, quand Mauresca chantait « Vai’zi ! Prends-le ce micro même si tu les blesses » sur « Vai’zi ».
Pourtant ce n’est qu’un leurre. Un énorme leurre.
Mauresca a décidé de changer de dimension sur cet album. Un peu moins festif mais aussi moins « passe partout », Mauresca propose à la fois son album le plus reggae et le plus hip hop depuis ses débuts. On ne se lasse pas de ré-écouter « Per la Montahna » ou « Méditerranée » qui vantent le doux paysage languedocien. Reggae/dub, Mauresca se régale en jonglant entre le français et l’occitan et nous amène au cœur de ses ballades traditionnelles. Sète n’est pas loin, « la mer aux portes de l’Orient » non plus. On se mettrait presque à entonner « mais qu’elle est belle, mais qu’elle est bleue, ô moi ça me rend joyeux », mais on se trompe de groupe…
Les morceaux sont toujours porteurs de messages comme avec « L’exception française » sur fond de rub’a’dub qui rappèle aussi la « culture centralisée, pensée depuis la capitale ; on défend la diversité sur la scène internationale, mais pas le droit de cité pour les langues régionales ! ». Ouais, c’est aussi ça le MFD.
Il y a toujours quelques perles à ne pas manquer : « Maria Blondeau » fait partie de ceux là. Sur des sonorités reggae, Mauresca nous conte l’histoire de Maria Blondeau, jeune fille de 18 ans assassinée par l’armée française. C’était lors d’une marche ouvrière le 1er Mai 1891 dans la ville de Fourmies dans le Nord de la France, avec 8 autres corps de gamins allongés sur la chaussée. « L’églantine remplacée par la fleur de muguet, la mémoire est faussée, la mémoire est tronquée, ils ont tiré pour tuer le premier mai. Ta liberté gardée par les États meurtriers ».
Plus traditionnel, « Dins Mon Jardin » use de métaphores pour comparer leur jardin à un espace ouvert à tous, où les rythmes de la Jamaïque et les poètes occitanistes se rencontrent bien loin des maisons de disques où la culture des billets pousse comme de la mauvaise herbe… Mauresca se lâche et s’essaie furtivement avec des guitares saccadées sur « Dessenats » pour donner une petite touche rock’n’roll à Cooperativa, avant que « Podrem Jamai Dormir » s’achève sur une révolution pacifiste et lyrique !
Cela se ressent, les montpelliérains se font plaisir dans les déclinaisons du reggae pour finalement proposer une deuxième partie d’album plus hip hop. Comme un pavé dans la marre. Mauresca tombe le masque et mélange les styles : « Boulégants »
a pour mission de faire jumper dans les balétis à coup de samples et de beats jusqu’à présent inconnus dans la discographie du groupe. Les machines s’emparent du dance floor « Original occitan raggamufin, per toti los rude boys […] Mauresca Fracas Dub au microphone t’hallucine, des percus de la basse et puis des machines ! ».
Aucun répit, « Sud de France » s’annonce comme un des morceaux fédérateurs de l’album : « Chez nous c’est pas Sud de France, chez nous c’est Nord de Méditerranée », comme pour poser la réplique et ne pas oublier que « les taux de pauvreté sont parmi les plus élevés, y’a autant de chômeurs que dans le Nord-Pas de Calais et pas de film à succès pour fashioniser ». En véritable MC, le flow est fluide et fauche tout sur son passage, « Babel » et ses scrachs transforment le MFD en porte-parole du hip hop languedocien, sans crier gare, et surtout avec une maîtrise déconcertante.
On est surtout loin d’en avoir terminé : « O.C.W. » endosse le côté reggae/digital qui va si bien à Mauresca sur cet opus. Dynamite musicale, à coup de percussions et de bidouillages électroniques, les cinq troubadours se transforment en « poètes, guerriers en terre occitane ! Verbes insurgés suivant la Tramontane, en Méditerranée c’est une caravane, warriors engatsés païens et profanes ! ». Comme si l’on n’était pas assez sevrés, « Tarabastal » nous propose une dernière session ragga occitaniste pour faire bouger les papets et les minots… « Fracàs, lo son dau tarabastal ! Mena la dança, mena la dancehall ! ».
Si Mauresca était attendu au tournant sur Cooperativa, la production dans les studios de La Ciotat près de Marseille s’est avérée payante. Même si le groupe a quelque peu perdu cette étiquette festive qui lui collait depuis ses débuts, il a surtout montré qu’après la réalisation de quatre albums il arrivait à se renouveler et à se diversifier. L’intensité du cd est parfaitement maîtrisée puisque les morceaux à dominance reggae s’intercalent avec les compos plus orientées hip hop. Le rendu sonne finalement très « reggae digital » mais se révèle d’une efficacité sans faille. Ce virage musical risque de surprendre les habitués du groupe, indéniablement, comme à chaque nouveau virage dans l’histoire d’un groupe. A quoi bon.
Mais au fond, du reggae « troubadour » au hip hop rageur, Mauresca distille un son méditerranéen : celui de la mer partagée, une musique où l’occitan résonne comme une parole libre, sauvage et impertinente.
« Fai la rota » Mauresca
LE CD DANS LE DÉTAIL
L’album :
1) La coopérative
2) Fai la rota
3) Per la montahna
4) Boulégants
5) Maria Blondeau
6) Sud de France
7) Méditerranée
8) Martel in dub
9) Babel
10) O.C.W.
11) L’exception française
12) Dessenats
13) Dins mon jardin
14) L’amor de prochi
15) Tarabastal
16) Podrem jamai dormir
Durée : 66 minutes
Album : 4e
Sortie : Octobre 2010
Genres : Reggae / Ragga / Hip Hop
Label : Lo sage e lo fol prod