Temps de lecture : 5’00
Depuis un peu plus d’un an maintenant, les sorties d’album se font dans un contexte particulier : englués dans une crise sanitaire qui n’en finit plus, de nombreux artistes décalent la sortie de leur nouvelle galette à plus tard. Pourtant, cette première moitié de 2021 a de drôles de ressemblances avec 2020 qui semble décider à jouer les prolongations. Alors qu’un album est synonyme de fête, de rencontres et surtout d’une nouvelle tournée pour venir le présenter, les groupes font avec les moyens du bord. Massilia Sound System, qui signe son retour studio 7 ans après son dernier opus, n’est pas épargnée. C’est à Istres que le rendez-vous est donné.
Faute de concerts en prévision, le Massilia Sound System a invité ses proches et la presse pour un concert atypique : afin de marquer la sortie de leur nouvel album, « Sale caractère », dévoilé vendredi dernier, le groupe nous a ouvert ses portes pour une « répétition générale » de ce qui constituera le spectacle de la nouvelle tournée. C’est donc après avoir été scrupuleusement placés que les quelques soixante-dix privilégiés ont pris place dans L’Usine, en configuration assise forcément. Cela discute sagement autour de nous, l’ambiance est atypique, d’autant plus que nous nous apprêtons à assister à un concert des marseillais à… 16h. Accompagnés par le petit dernier des Black Keys en attendant le début des festivités, les présents s’observent et scrutent des têtes connues. L’Usine, si bouillante à chaque passage de Massilia ou de ses side-project, semble pourtant presque endormie.
Elle restera d’ailleurs d’un calme olympien tout le long du concert même si une partie du public n’hésite pas à s’agiter sur sa chaise. On est bien loin des fumigènes et autres farandoles, mais l’heure et demie de concert a le don de réchauffer le cœur avec une setlist des grands soirs ! Entre des grands classiques et une petite moitié des morceaux du dernier album, le Massilia Sound System est content de se retrouver et cela se voit ! Le retour du Massilia est boulégant et il est urgent que les contraintes sanitaires soient levées !
Car ce nouvel album a une saveur particulière. Dès la première écoute, on sent bien que la bande a voulu faire un album en son temps et surtout en gardant ses idées. Personne ne pourra faire rentrer Massilia dans un carcan, même si ces derniers se sont faits (un peu) allumer sur les réseaux sociaux suite à la sortie de leur premier single éponyme. Notamment à propos de l’auto-tune dans le refrain. « Oh qu’est-ce qu’on a pas fait-là ! » lâche Papet-J ! Pourtant, il faut bien reconnaître qu’il ne laisse pas insensible ce morceau. D’abord, par la symbolique qu’il dégage : « avoir du caractère, c’est avoir des choses à dire, ne pas se laisser faire ! On est des grandes gueules, et c’est une qualité par les temps qui courent ! » précise Tatou. Ensuite, pour clôturer le débat sur l’usage de l’auto-tune sur ce morceau, Moussu T relativise, notamment sur le fait que cela ne plait pas aux gens d’en haut : « il y a un mépris de classe » autour de ça, et ils en ont joué. Massilia, avec parcimonie, a donc envoyé un signal. Car il faut bien souligner une chose : à part le refrain sur le titre Sale caractère et les 10 dernières secondes d’un second morceau sur l’album (A la rue), on ne peut pas dire qu’il soit très présent non plus.
Cette parenthèse refermée, la question brûlante qui secoue l’auditoire concerne le virage très digital voulu par le groupe sur ce « Sale caractère » : plus dub, plus sound system, plus électronique, plus de riddims, Massilia est revenu avec un album étonnant : « on a voulu faire un disque simple » précise Gari. « Le disque a été fait en 3 mois, c’est le disque fait le plus rapidement depuis l’existence du Massilia Sound System » renchérit-il. C’est le Papet qui a ouvert les hostilités en proposant le titre Sale caractère au groupe qui lui a ensuite emboîté le pas. C’est donc en voulant exprimer leur ras-le-bol général, sur les sujets qui les enflamment depuis plus de 30 ans, que les morceaux sont passés par les filtres des membres du groupe pour écrire et composer ce nouvel album. Au niveau des instru, c’est la doublette Dj Kayalik/Moussu T qui a façonné le profil sonore de l’album. Et il portera une griffe singulière dans la discographie du Massilia. La citation du Papet, qui reprend Claude Sicre des Fabulous Trobadors, en est l’illustre exemple : « si tu veux ne pas être démodé, ne sois jamais à la mode ». Terriblement vrai.
A la question de ce que peut attendre le groupe de la sortie de ce nouvel album, Gari temporise : « on est des doux rêveurs, on écrit des chansons », pendant que Papet confirme que « cela fait du bien de se retrouver ». Pourtant, cet été s’annonce particulier, une fois encore : « parti comme on est parti, on va plus répéter que jouer cet été », et c’est problématique ajoute Papet Jali. En effet, sur les quelques 20 dates initialement prévues cet été, il n’en reste que 6. Frustrant d’une part, inquiétant aussi. Après avoir enchaîné 4 ans de tournée sur celle des 30 ans, jusqu’en 2018, Massilia ronge à présent son frein : « le dernier concert remonte au 6 mars 2020, lors d’une soirée de soutien aux cheminots » explique Tatou.
Pour le coup, le maintien des restrictions sanitaires autour du monde du spectacle ne permet pas de desserrer l’étau : « pour la troisième fois depuis l’existence du Massilia Sound System, il n’y a pas eu de distribution de pastis pendant un concert » raconte Moussu T. Pour l’anecdote, les deux fois précédentes étaient lors d’un concert du Massilia à New-York, où les organisateurs craignaient que les gens finissent bourrés ; la seconde lors d’une soirée à Gardanne, contre l’alcoolisme, où Massilia avait failli mettre les pieds dans le plat ! Outre ce détail, les restrictions autour de la crise sanitaire ne sont pas vraiment favorables : « les mesures de soutien sont supprimées sous prétexte de la reprise des concerts, tout comme le gouvernement n’a pas voté la reconduction de l’année blanche pour les intermittents » renchérit Papet. La sortie de crise n’est pas encore là, pire, « elle est en train de tuer de tous les métiers ». Et si la question de savoir si un concert doit être maintenu actuellement en configuration assise, ou non, n’a pas trouvé de réponse tranchée au sein du groupe, le ressenti de Tatou sur celui de l’après-midi a de quoi faire froid dans le dos : « le public est bridé, il ne peut ni se lever, ni danser. En fait, c’est comme quand on joue en prison, aux Baumettes ».
Au milieu de ces questionnements, il y a un nouvel album qui est arrivé dans les bacs, vendredi dernier. Une chose est sûre, Massilia partira le défendre, avec un public assis ou debout, masqué ou non, d’ici peu. On espère que les soirées fleuriront sur le territoire, du petit au grand oai, avec un verre à la main.
Le Musicodrome remercie Manue (Manivette Records) pour cette invitation. Chronique de « Sale caractère » à suivre dans les prochains jours. Crédits photos : Machy.