Il était annoncé, on l’attendait avec impatience mais aussi appréhension : qu’est-ce que les Ogres nous ont-ils encore préparé ? On se languissait de découvrir ce nouveau cru plein de promesses pour les 20 ans des saltimbanques. Mais c’est dur de dire : « Vous m’emmerdez » à ce groupe qui nous berce depuis tant de temps !
Vous m’emmerdez. Carlos Mervil dresse un bilan de la vie un peu anarchiste, un peu utopique avec ce monologue adressé à un commissaire. D’entrée, le décors est dressé, authentique. Et même si les carottes de Fred sont cuites, il semble avoir quelques surprises encore cachées dans sa caboche ou bien alors des souvenirs bien ancrés. Pages de ma vie est peut-être la plus grande claque de cet album. Sans coco dans la famille, il manquait une pièce à mon puzzle musical : Allain Leprest. D’abord la chanson est une surprise. Elle rappelle ses propres amours, les copains, la musique et la vie. La découverte d’Allain est poignante : une vague de submersion m’a envahi de tout mon être ! Comment vivre sans écouter ces textes et cette interprétation incroyable? Alors merci. Mille fois merci. Et bravo, aussi, pour cet hommage réussi.
Entourés de grands messieurs, Les Ogres appelle les Têtes Raides. Crache transmet et amplifie l’alarme révolutionnaire du préambule. Ces artistes de la scène française qui assument leur vie, leurs chansons. On a bien compris, c’est à la figure de ceux qu’ils emmerdent que les musiciens crachent des notes de résistance et se défendent fièrement de leur statut.
Et non, ce n’est pas de la loi d’Ohm dont il s’agit ensuite, mais d’une sérieuse leçon de vie sur l’éducation d’un enfant. Les ogrillons sont de la partie. Ils ont dû y prendre goût avec les albums de Pitt’Ocha. Les Ogres continuent de nous emmener dans leur monde qui n’est pas tout rose mais qui permet de calmer les douleurs de notre, parfois triste, société. Ohm prend place dans cet album et les notes défilent.
La chanson éponyme de l’album est dans la verve des grands paroliers français. Pleine de lucidité, elle met en exergue que notre monde ne tourne plus rond. D’une évidence corrosive et d’une douce simplicité, le texte ne manque pas de bon sens :
« La vérité en toute conscience
Qui pourrait nous anéantir
Ne me donnez jamais le pouvoir
Je serai bien plus loup que vos loups »
Un discours sans égo qui révèle l’implication, le respect, la gentillesse et l’intégrité des Ogres. Murabeho Imana fracasse là où elle passe. Avec la voix fragile de Mathilde et des choeurs graves, l’hypocrisie et la mal-gérance occidentale au sujet de l’actualité africaine sont dénoncées. Malheureusement un petit bé-mol pour cette chanson dont la mélodie n’a pas su traverser mon âme comme les autres ont pu le faire. On est parfois trop bien habitué.
D’ailleurs, il manque quelques clés pour l’intime titre Expression de sentiments. Mais qu’importe, la pudeur entourant cette chanson est émouvante. Ni une, ni deux, le gendarme de Condkoi amène de nouveau cet esprit à la fois léger et révolutionnaire. Un mélange subtil qui est propre aux Ogres… ça percute et ça marque : « on le sait le verbe, le complément d’objet, bien armés exacerbent le neurone au poulet ».
Intermède musical avec la ritournelle Morsure de Mots pour mieux introduire Sacré Fils. La fanfare béninoise Eyo’nlé ensorcelle les rythmes. Les instruments et les voix s’investissent alors à tracer le portrait de l’Afrique, sans parabole et sans mettre d’œillère : celui d’une Afrique pleine de traditions, abîmée par la société actuelle.
Et c’est à l’instar de Pages de ma vie que A cœur battant est une ode à la vie libre, à la bohème. Avec la justesse du choix des mots qui leur est propre, les Ogres rendent compte des lignes de vie qu’ils ont suivi et suivent encore. Ils n’enjolivent rien, n’ajoutent pas de fée à leur conte mais y mettent, justement, tout leur cœur. Les sonorités balkaniques de Amarisi Amari ne peuvent que rappeler la vague de musique des balkans qui déferle ces derniers temps. Cette chanson de Csokolom, avec la voix de Gavril « Gavrish » Borki, met de bon humeur.
La spiritualité a toujours eu une place importante pour l’homme. On a envie d’y croire. Et parfois, l’image que renvoie les entités religieuses rend sarcastique. C’est sûrement pour cette raison que Sadique et sévère a sa place dans cet album « Vous m’emmerdez ». L’ironie accompagne ce reflet de vérité. La révolte continue avec les nos compagnons ardéchois.
La hiérarchie de notre société, le contexte difficile, fatiguent et rendent le Dos miné. Ça tombe bien, c’est un appel à jouir de la vie malgré tout ça. Rien n’enlèvera un moment de bonheur à danser, chanter seul, avec ses copains ou encore des inconnus. Une pause insouciante dans cet album parfois grave des sujet qu’il traite.
Coup d’poids dans la gueule, c’est l’histoire de tout à chacun, l’histoire d’amour sur fond de préoccupations physiques. Les percus portent les kilos, les instrus et les choeurs mettent en lumière cette prise constante de poids proportionnelle aux nombreux soucis qui arrivent en vieillissant. Et pourtant cet être vivant qui évolue et qui a quatre pattes le matin, deux à midi et trois le soir, prend sans cesse des kilos.
Que fait-on à la fin d’une dure journée? On va au bar avec ses super copains. C’est donc tout naturellement que les Ogres nous invitent dans leur guinguette préférée à la fin de cet album. Clin d’oeil à Renaud, on aimerait avoir à proximité de soi toujours cette guinguette magique qui apaise les maux, éclaire le moral et fait apparaître un sourire sur son visage. Mais comme Le café des supers vedettes de Regg’Lyss, Les habitants du chat noir des Gueules d’Aminche ou Mon bistrot préféré de Renaud, les Ogres s’inspirent des moment plus que conviviaux qui règnent dans ces endroits privilégiés. A certaines heures sombres, cette chansons peut donner le blues, mais rappelez-vous votre guinguette et laissez-vous bercés par les comparses…
Il est difficile de cacher la déception suite à la première écoute. Il manquait de rythmes festifs à certaines chansons pour que l’on se dise : le dernier album des Ogres est super ! Mais ils nous « emmerdent », et c’est notre problème si on ne sait plus écouter la musique et prêter une oreille attentive. Alors non cet album n’est pas super. Finalement il est dans la lignée des quatre frères et soeurs, il est délectable. Il apprend à apprécier les détails, les jolies références et les belles rimes.