Barrio Populo sait jouer avec les mots, avec ses mots, dans ses compositions, avec des textes de Victor, le chanteur, qui tutoient souvent le sublime, transportant le groupe bien au large, loin des marges de la chansonnette, perdu au milieu des vagues berçants les plus grands, les Ferré, les Leprest, les Brassens et les Barbara, mais aussi les Rimbaud, les Verlaine et les Apollinaire.
Si le groupe nourrit un amour non caché pour la poésie, c’est désormais chose actée, et jetée officiellement à la face de ceux qui auraient pu en douter, avec ce nouveau disque « Cris d’écrits », faisant suite à ce travail entamé il y a plusieurs années, et un sublime concert au Chambon-Feugerolles (Live Report ICI). Ce CD est un petit bijou, un cri au milieu de la nuit du monde. A vous rallumer une étoile, à vous réveiller un poète.
L’histoire, comme ils le racontent, a commencé lorsque, de la pointe de leurs vingt berges, les jeunes artistes reprenaient Vingt Ans, de Léo Ferré au milieu de leurs sets. Le résultat était détonnant, leur public se plaisait alors à écouter le poète, remis au gout du jour (même si son gout d’hier reste à jamais moderne).
Quelle autre manière, quelques années plus tard, de saluer la mémoire de l’anarchiste Ferré, qu’en le couchant, sans le singer, sur ce disque. Deux chansons. Deux bijoux non sertis, brillants à souhait. Les enfants ont grandis, leur vingt ans sont passés, et La Fleur de l’Âge se rapproche (rassurons les, rassurons-nous, la distance est encore longue pour l’atteindre). L’interprétation de cette chanson est grandiose, on retrouve un arrangement léger et des variations mettant en évidence ce texte incroyable. Et que dire de C’est Extra ? Si le choix de la chanson nous a étonnés, il s’est avéré d’une logique implacable à la première écoute, avec la force que ce titre dégage. L’envolée de la voix sur les derniers couplets est à couper le souffle, à glacer le sang. Ce cri est un déchirement, langoureux et savoureux, un moment de musique et de cri s’écriant dans la nuit ; pour sûr, c’est extra !
Quelle liberté, quelle folie, quelle insouciance que certains titres présents sur l’album. Des titres en dessous de la minute, bien loin des formats standards, des formats radio, des formats idiots, comme si la poésie pouvait rentrer dans des cases, comme si l’on pouvait juger au nombre de mots, au nombre de mesures de la légitimé qu’a une chanson d’exister. Alors du haut de cette liberté si belle et si enviable, les artistes ont tracé leur chemin sans se soucier des normes. La Brouette ou les grandes inventions ou La Cène sont des manières de redonner longue vie à des textes de Prévert qu’on n’entendra (peut-être) jamais ailleurs mis en musique ! Quel éclat que la légèreté de ces quelques secondes, comme un condensé de poésie qu’on attrape au vol et qu’on relâche presque instantanément.
A la manière d’un Picasso, Barrio Populo peint Prévert de mille couleurs, Cet Amour est un condensé de tendresse, quelle douce folie que d’imaginer l’amour à travers cette chanson, de l’espérer à travers ces quelques phrases et ces quelques langueurs d’un autre temps, ce piano tendre à souhait et cette voix émouvante au possible. Déjeuner du matin était un pari, il nous avait épaté sur scène, il nous renverse sur l’album, avec les guitares qui se tutoient, se répondent, s’embrassent et se maudissent. Chaque note est choisie et pesée, le texte est faussement simpliste et ressort comme un éclat après cette interprétation. Ce Jacques-là peut s’enorgueillir que de si jeunes gaillards magnifient à ce point son œuvre.
Le groupe, comme il l’a fait par le passé, a aussi su, et voulu, s’entourer d’autres musiciens pour le besoin de certains morceaux. La Fille morte dans ses amours, où un violon vient s’immiscer avec ferveur, est la preuve, au milieu d’un rock tendre et entraînant d’une grosse minute, que Barrio Populo peut encore explorer de nouvelles pistes, de nouveaux mondes, en bons défricheurs poétique et musicaux qu’ils sont.
Ferré et Prévert sont à l’honneur dans cet album, Rimbaud quant à lui ouvre l’album avec Comédie en trois baisers, à la chaleur sulfureuse, à l’étonnante légèreté pour un morceau joué par tant de musiciens. Au-delà de leur rock et de leur folie débordante sur scène, c’est bien par leur légèreté que les artistes envahissent l’album. Et l’on s’y laisse prendre tendrement. Les Réparties de Nina est un grand moment de l’album, et mérite six minutes douze d’une oreille attentive et posée, pour saisir au mieux les fluctuations que le son fait dans l’espace, que les mélodies accrochent aux oreilles.
Alors bien sûr, après avoir vu le spectacle, un seul être vous manque. Même peut-être deux ou trois, qui nous avaient marqué et qu’on aurait aimé entendre à nouveau dans l’irascibilité de nos corps avides de connu. Mais on peut bien entendu imaginer les difficultés de réaliser un travail aussi profond de trois quart d’heure, alors notre appétit de consommateur saura se restreindre, et retourner aux concerts.
On ne parlera même pas de Mon Petit Loup et Le Mal de Vivre, qui, dans deux mondes absolument différents, offrent à la fin de l’album une splendide tristesse mêlée de joie, d’insouciance, de profondeur. Ces deux textes de Pierre Perret et Barbara nous remuent le fond des tripes, et la clôture de l’album, où les cuivres entrent en fanfare comme pour nous laisser ce gout de manque, est un déchirement. Savoureux malgré tout.
Dans cet album à l’esthétique soignée, les mots retrouvent leur place, la place qui devrait être la leur. La poésie retrouve sa beauté vierge et candide et la mêle à la mélodie, qui fait qu’on la contemple et qu’on l’écoute pour le beau, et puis pour rien d’autre, pour passer le temps et puis se faire du bien.
Comme ils le font depuis des années désormais, les artistes de Barrio Populo sortent un travail abouti, avec une orchestration qui sort des sentiers battus, qui nous surprend et nous rassure, qui ressort les mots de leurs enveloppes d’argent, et les fait voyager dans le monde d’aujourd’hui, avec un éclat musical tout particulier. Si les mots des auteurs sont une perpétuelle offrande, c’est aujourd’hui un magnifique cadeau que Barrio Populo fait à ces artistes et à ces poèmes. Et puis à nous aussi. Alors…. merci !
NB : Barrio Populo sera en concert à La Salle Jeanne d’Arc ce vendredi 24 novembre pour leur lancement d’album. La soirée sera pour sûr, dans un cadre magnifique, à ne pas rater !
FICHE TECHNIQUE
Tracklist
1. Comédie en trois baisers (texte d’Arthur Rimbaud)
2. Les réparties de Nina (texte d’Arthur Rimbaud)
3. La fleur de l’âge (texte de Léo Ferré)
4. La Fille morte dans ses amours (Texte de Paul Fort)
5. Cet amour (Texte de Jacques Prévert)
6. Déjeuner du matin (Texte de Jacques Prévert)
7. La Cène (Texte de Jacques Prévert)
8. La recherche de la fécalité (Texte d’Antonin Artaud)
9. Le dormeur du Val (Texte d’Arthur Rimbaud)
10. La Brouette ou les grandes inventions (Texte de Jacques Prévert)
11. C’est extra (Texte de Léo Ferré)
12. Mon petit Loup (Texte de Pierre Perret)
13. Le mal de vivre (Texte de Barbara)
Durée : 44 min
Sortie : 24 novembre 2017
Label : Carotte production
Genres : Chanson française / Rock