Drapée dans sa toute nouvelle peau, Barjac m’en chante ouvrait hier la nouvelle édition de son festival qui donne du cœur à la chanson. Et il n’était pas dit que le déluge qui allait s’abattre sur la cour du château aurait raison des envies de mots des festivaliers. Récit d’une première soirée mouvementée, mais chaleureuse au possible !
Indéniablement, c’était un moment très attendu que le tout premier spectacle de cet an 1 de Barjac m’en chante : Philippe Torreton se mue d’acteur en parolier, et monte sur scène avec Edward Perraud pour réciter du Leprest, comme on chanterait du Rimbaud, comme un orage dirait des mots du ciel.
Et rien qu’en jettant un oeil à la gueule de la file d’attente qui menait à la cour du château, une bonne heure avant le début des concerts, il était facile de comprendre que cette soirée allait se jouer à guichets fermés, une première soirée d’ores et déjà réussie.
Une entrée dans la fameuse cour, le temps de perdre ses yeux en haut des murs entourant la scène, et l’équipe organisatrice du festival arrive pour présenter « leur » festival, qui est aussi le notre.
Puis ils arrivent. A deux. L’un derrière un micro, l’autre derrière sa batterie. Et la tourmente commence. « Mec tu dis jamais rien… », quel choix audacieux des deux artistes que de commencer par cette chanson.
Philippe Torreton va enchaîner les chansons de Leprest, en les croquants du creux de sa voix rauque et apaisante, sans interruption, avec une envie folle de partager ces textes. Rarement on n’aura vu un chanteur ou artiste mettre autant de cœur dans son interprétation. Des frissons s’invitent au bout des bras quand Torreton et Perraud interprètent Le Chagrin, s’en fut beau à vous donner envie d’être triste.
Du Chien d’ivrogne au Sac à main de la putain, les choix des chansons sont cohérents, Torreton les enchaîne sans palabre, sans un mot, uniquement guidé par l’empreinte textuelle du parolier français. Puis elle arriva, d’un coup d’un seul sans prévenir : la pluie.
La transition fut fantastique, et l’histoire ne dira jamais si elle fut improvisée en une demi-seconde par les deux compères, ou si le hasard était également invité à Barjac : à la première goutte effleurant le dessus des crânes, Torreton s’inclina face au micro, et sa voix résonna alors comme une évidence « Il pleut sur la mer, et ça sert à rien », le gardien du phare s’était mué en gardien du château, il s’est noyé quand même.
Deux ou trois chansons sous la pluie puis Edward Perraud fut obligé de rendre les armes, et d’emmitoufler sa batterie pour la protéger de cet opéra du ciel. Il n’en était pas de même pour Torreton.
« Vous faites ce que vous voulez, je n’ai pas les mêmes problèmes que mon collègue, je n’ai rien d’électrique, alors je continue ».
Habité par les mots comme on le serait d’un mirage, Torreton lance « Y’a rien qui s’passe« , tandis que les éclairs éclairant le château de Barjac donnent un relief grandiose au spectacle. Le public est trempé, trempé mais heureux, tellement heureux.
Les grosses gouttes auront eu raison de la hargne et la détermination de Philippe Torreton, ramené à l’abri par des membres de l’organisation. Le set sera raccourci et se terminera sous un véritable déluge, sans pouvoir cependant y apposer un point final, y ponctuer le dernier mot et la dernière note. Comme l’acteur le dira plus tard : « C’était vraiment bien parti », et nous prenons date pour leur prochain passage. Pour sûr, avec ces deux artistes, il n’y a pas rien qui s’passe. Torreton a su sublimer les mots de Leprest, un doux voyage de la première à la dernière chanson, une baffe qui vous donne envie de croire que la vie existe.
Le public trempé jusqu’aux os mais souriant jusqu’au cou se masse alors dans la frêle salle jouxtant le château. Et c’est à priori une habitude, « il y a quelques années, Juliette avait joué dedans aussi » entent-on entre deux discussions. Nul doute, Michèle Bernard, la tant attendue, allait chanter, au diable les lumières, au bon dieu la pluie, au public la chanteuse.
Presque trois quart d’heure s’écoulent, le temps de s’adapter à la configuration improvisée, tandis que la foule qui s’y agglutine fait monter la température dans des extrêmes difficilement supportables, elle pèse chaud, la chaleur du cœur.
Puis elle arrive, les bretelles de son accordéon la ligotant, Michèle Bernard se présente sous un déluge d’applaudissements. Comme pour faire un clin d’œil au public de Barjac, la chanteuse commencera son set par Les vieux les enfants, dans une configuration accordéon-contrebasse qui d’entrée transporte l’assistance. Quelle interprète que Michèle Bernard, cette évidence nous frappe à la première chanson, à la première note, même si nous en étions convaincu en posant nos os dans cette soirée.
Pour ce concert, comme pour l’ensemble de ces concerts, Michèle Bernard s’est entourée de musiciens impressionnants : Michel Sanlaville jongle entre la contrebasse et la guitare qu’il manie avec virtuosité, quand Sandrine de Rosa ne peut que laisser pantois en enchaînant les instruments comme un chien d’ivrogne enchaîne les verres, du violon au tuba, en passant par les percussions et la guitare, et combien d’autres, les mots de Michèle Bernard frappent encore plus quand ils sont ainsi entourés.
On trouve des similitudes de forme avec certains textes d’Henri Tachan, et cela fait un bien fou que d’entendre ces textes qui nous font aimer ce moment, et nous feront aimer les suivants. Tout’ manières est de cette trempe.
Mais Michèle Bernard c’est surtout des engagements, des coups de gueule, des croches du cœur qui lui ont sans doute coûté une carrière à la hauteur de celle qu’elle aurait dû avoir, même si elle reste une géante pour les amateurs de la chanson. Et lorsque Maria Suzanna nous arrive aux oreilles, la salle déjà chauffée monte le curseur, tout le monde à envie de chanter à Barjac : tout le monde chantera !
Une comptine écrite par Louise Michel est ensuite adaptée, puis des voyages nous sont proposés, des voyages dans les Iles Grecques, des voyages aux côtés des Quatre vingt beaux chevaux qui font tant penser aux hommes, pendant une heure et demi une communion s’opère, sans curé et sans dieu, simplement avec des mots et du cœur.
Un retour rapide où les trois compères offrent leurs voix aux Petits cailloux, verts de la Durance, et des applaudissement qui n’en finissaient pas, ce concert ne pouvait pas finir…
Il aura cependant fallu se rendre à l’évidence, la première soirée est terminée, mais quelle entrée en matière ! Deux groupes qui ont su nous prendre les tripes, et les retourner à la mode de la chanson française, le déluge qui s’est invité, l’éclairage naturel de l’orage voulant écouter de la chanson, tout était réuni pour que cette soirée reste dans les mémoires.
Elle y restera, en bonne place !