Agnès Bihl n’en finit plus de surprendre et de se poser en ambassadrice d’une chanson polymorphe, qui touche à tout sans jamais rien casser. Après son livre « 36 heures dans la vie d’une femme (parce que 24 c’est pas assez) » et de multiples représentations originales, elle revient sur le devant de la scène avec un « Cabaret électro-rétro » qui lui colle aux basques, et scotche à la première écoute.
La chanteuse investit cette toute nouvelle configuration en repeignant l’espace en un magnifique cabaret aux multiples visages, dans une ambiance qu’on imagine volontiers feutrée, et qui vaudra son pesant de cacahuètes. Redingote et haut de forme sont de la partie, pour autant la bourgeoisie n’a pas sa place dans cet interlude temporel et musical. Forte de ses attachements, magnifiquement supervisé par Yanowski, Agnès Bihl n’oublie pas de mêler les mots d’un autre temps avec les révoltes qui semblent intarissables et tristement toujours d’actualité.
Agnès Bihl est crédible au possible en extirpant de leur froid papier la Fille d’ouvrier ou le si cupide Dollar. La révolte imbibe cet univers d’un autre siècle, et ne perd rien de sa saveur.
La force investit l’interprétation de chaque titre, qui peut parfois décontenancer par la teneur en émotion, on pense à Ma p’tite chanson ou Où sont tous mes amants. A coup sûr la voix grave et enjouée d’Agnès Bihl, suppléée par un piano qui se montre sans encombrer, arrivera sans peine à les retrouver vite, tous ses amants.
Le défilé des styles semble intarissable, un cabaret à elle toute seule : un tango qui porte bien son nom colle les oreilles au fond des nues. Il fait partie de ces tangos qui naissent de la chaleur rauque d’une voix qui grave les murs, les drogues parfois farfelues sont de la partie pour suivre ce rythme qui vit au fond des cabarets d’un autre temps, à vous donner envie de vous damner. A l’entendre, on pourrait croire que Juliette est de la partie, quelque part dans ce bout d’bonne femme.
Tout au long de ce « Cabaret Electro-Rétro » se côtoient Aristide Bruant, Yvette Guilbert ou Fréhel qu’Agnès Bihl fait revivre quelques minutes, mais quelques minutes c’est déjà tout un monde. Toutes ces chansons du passée sont ancrées dans le présent, bien accompagnées par des arrangements qui se cherchent à travers plusieurs mondes, les machines offrent son côté « électro » au cabaret, quand le vintage envahit le reste de l’atmosphère.
On retrouve autant de chansons joyeuses à vous dérider n’importe quel moine, même lorsque Agnès Bihl se retrouve seule sur Ohé les copains (une invitation à la bonne humeur et la joie de vivre), que de chansons aux titres évocateurs narrant ces histoires qu’on croise à chaque coin de trottoir, mais qu’on écoute avec un plaisir non dissimulé malgré tout. La palme de la chanson au titre le plus long revenant à Marie-Sandrine, qu’on peut appeler Bernard, cette Pauvre orpheline, homosexuelle, juive et noir avec en plus un œil en moins. Une rythmique comme un cœur, la voix sur la misère, ou comment maquiller le malheur. Et c’est partie gagnée pour la chanteuse.
Il semblerait qu’à travers ce disque, Agnès Bihl ait trouvé une alternative toute cohérente à la machine tant miroitée à remonter dans le temps. 35 minutes pour se replonger dans un univers diapré, plein de gueules et d’idées qui ressortent et qui font du bien. Ce CD est une réussite sur tous les plans, c’est blues et c’est romantique malgré le malheur. Il est si facile de l’imaginer sur scène, ce qu’on espère pour bientôt, avec bien entendu de l’amour, des coups de gueule et des écorchés regroupés sous un cabaret à la gueule et à la voix ensoleillés.
FICHE TECHNIQUE
Tracklist
1. Fille d’ouvriers
2. Moi je m’ennuie
3. Ohé les copains
4. Dollar
5. Où sont tous mes amants
6. La môme catch catch
7. Les 5 étages
8. Du gris
9. Le tango stupéfiant
10. Sans lendemain
11. La pauvre orpheline homosexuelle, juive et noir avec en plus un oeil en moins
12. Ma p’tite chanson
Durée : 35 min
Sortie : 3 juin 2016
Label : Label At(h)ome
Style : Chanson française