Après une semaine passée en résidence dans les studios de Paloma à Nîmes, les cinq lyonnais du groupe High Tone sont finalement passés de l’autre côté, quelques mètres plus loin, pour investir la Grande Salle. Même si Paloma était loin d’afficher complet, les fidèles au groupe, mais aussi beaucoup de jeunes, s’étaient donnés rendez-vous vendredi dernier pour profiter d’une soirée placée sous le signe du dub et de ses déclinaisons.
20h. La tension est palpable dans l’enceinte Paloma. Deux ans après avoir mis entre parenthèse High Tone pour se consacrer à d’autres projets tels que High Damage ou Dub Invaders, le collectif d’High Tone remontait enfin sur les planches pour présenter notamment les morceaux de son nouvel album, « Ekphrön » à paraître le 31 mars prochain.
Avant cette toute première date de la tournée 2014/2015 du High Tone nouveau, la première partie était assurée par Djamanawak, jeune groupe hybride qui n’a pas froid aux yeux. Avec un premier EP en stock et une incroyable fusion des styles, à mi-chemin entre High Tone, Domb et Hilight Tribe, Djamanawak était taillé pour donner le ton : en configuration inédite, un trio multi-instrumentiste, chacun y est allé de ses grains de folie : entre transe, electro, rock et même jazz, les différences de rythme et passation entre instruments ont donné tout le charme au set. Tantôt embarqué par les cuivres, tantôt impulsé par le didgeridoo, le public s’est vite pris au jeu. Le seul reproche finalement à noter vis à vis de la prestation de Djamanawak restera l’utilisation un peu trop fréquente de voice changer, rendant le chant par moment trop synthétique.
Mais quelques instants plus tard et une paire de praticables déplacée, High Tone finit par reprendre le flambeau : les cinq membres installés de front et plus en formation en losange comme auparavant, s’imposent à nous. Le fond de scène, comme à son habitude par contre, est arborée d’écrans destinés à recevoir de la vidéo. « Ekphrön » est cependant dans toutes les têtes : leur nouvel album, le septième, est composé de 9 titres, dégageant une maturité déconcertante. Repoussant les frontières du genre, déliant les influences même du dub pour y apposer sa griffe, High Tone laisse présager une rupture musicale inconsidérable depuis sa création.
L’ouverture du concert se dénote déjà du reste : lancement en douceur, Wahqam saba, amené par les soubresauts d’un oud (un lût oriental), imprègne Paloma d’une intro quasi psyché, clairement planante, où les nappes synthétiques enveloppent l’atmosphère. Pris de court par ses débuts bien calmes, High Tone va pourtant poursuivre dans ces nouvelles influences, où le MC bien connu du groupe, l’américain Oddateee, déverse son flow sur le très hip hop Old mind. Montant progressivement le son au fil des tracks, High Tone finit par se laisser aller… Dans la lignée de « Out Back » (2010), la toile sonore se tisse sur fond de violence, de machines en fusion et d’influences anglaises à tout va. Les triturages électroniques, le dubstep, l’UK Bass, voici le nouveau visage d’High Tone : ces derniers vont piocher dans leur répertoire agité pour secouer la scène. Si la ligne de basse est toujours autant punchy sur Dub what, la batterie martèle, les platines claquent, le morceau en lui-même change de dimension.
Même les anciens morceaux, tels que Glowing fire (« Underground Wobble », 2007) ou les tonitruants Rub-a-dub anthem et Boogie dub productions (« Out Back », 2010), sont remixés de manière à s’incorporer de manière astucieuse dans le set. Conservant leurs racines dub, High Tone se sature, se digitalise, remodèle les sons à sa guise pour se les ré-approprier avec une simplicité qui n’est pas à prouver. Déjà charmé par ce sérieux coup de polish, c’était sans compter sur la seconde partie de set. Allant encore plus loin dans l’exploration des sens, High Tone veut frapper sur tout ce qui bouge et ne laisse aucune chance au répit.
A la manière des X-Ray ou des Speed 110, les influences orientales restent mais le martelage s’intensifie. A la suite, les morceaux les plus ravageurs fusionnent, dégageant une énergie inouïe. Frequency, entre scratchs, platines et beats bien fats, propulse Paloma sur une autre planète : rallongée, saturée, la drum’n’bass succède à une apocalypse sur fond hardteck. Ce coup de poignard, High Tone va le réitérer à plusieurs reprises : Until the last drop, entre rock, electro et coups de buttoir, renvoie l’appareil aux tracks surboostés tels que Raag step, façon dubstep, l’incontournable Spank qui tape qui tape qui tape, darkside, dubstep et jungle, ainsi que sur 72′ turned off.
Canardé dans les plus hautes sphères, High Tone s’est radicalisé, passant clairement du côté obscur. D’une noirceur incroyable, comme si le chaos devait être prôné sur scène, personne n’a été épargnée par la machine lyonnaise, pourtant encore en rodage sur cette première date (quelques décalages sur la vidéo, comme sur Old mind). Mais ce n’est pas l’heure du rappel qui raisonnera le public plus que réceptif de Paloma : après un dernier appel à la transe avec le très attendu A fistful of yen, entre fureur et parades nacrées, High Tone redescend sur terre, avec nous. Au dessus des steppes, une chrysalide rock apparaît, Altered states, avant de finir en apothéose sur The dusk, morceau inédit réalisé avec Brain Damage en 2011. Symbole d’un équilibre parfait entre le dub, l’ethno dub et des racines jamais reniées, The dusk laisse entrevoir une éclaircie. Après l’orage, le soleil revient. Mais au fond il n’est jamais vraiment parti.
Inutile de souligner que les amateurs des débuts d’High Tone, s’ils n’ont pas adhéré la tendance amorcée sur « Out Back » (2010), auront certainement du mal à se retrouver dans la nouvelle facette du groupe. Pourtant, la performance réalisée vendredi à Paloma démontre que le groupe, album après album, se renouvelle sans cesse. Après plus de 15 ans de carrière, High Tone sait encore produire de l’ethno dub comme il avait l’habitude d’en faire (que ce soit à travers High Damage, 2011, ou de ses sessions à travers Dub Invaders), mais lorsqu’il décide de remonter sur les planches au complet, il montre surtout qu’il a su, aussi, évoluer. Il est là, le signe de la maturité pour les pionniers du dub-electro français.