Il est de ces traditions que l’on respecte au Musicodrome, comme celle d’assister chaque automne à La Fiesta des Suds à Marseille (13). Déjà 34 éditions pour le festival marseillais qui convoque chaque année l’ensemble de la planète pour une grande fête populaire. Nous vous proposons de vous accompagner au cœur de cette nouvelle édition qui s’est tenue du 9 au 11 octobre sur l’emblématique quai du J4.
Jeudi 9 octobre
Parmi les autres traditions que nous respectons, il y a également l’Intercités Bordeaux-Marseille, systématiquement en retard, quelque soit la période à laquelle on le prend. Comme d’habitude le train est en retard, ce qui décale notre arrivée dans la cité phocéenne et nous fait rater le début des concerts. Heureusement, le logement que nous avons trouvé se trouve du côté du Vieux-Port ce qui permet de relier le site à pied.

Nous arrivons juste à temps pour le début du concert de Morcheeba que nous avions eu le plaisir de voir l’an dernier à Montpellier. Skye Edwards, la charysmatique chanteuse du groupe britannique est tout sourire, prête à nous offrir un show réglé au millimètre. Contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, le dernier album du groupe « Escape the Chaos » (dont le visuel a été créé par notre pote Caro) a été presque ignoré. Avec seulement trois titres joués (Call for love, We live and die et Bleeding out), malgré la très bonne tenue de cet album, Morcheeba a préféré laisser la place à ses anciens titres que le public attend. C’est d’ailleurs avec Trigger hippie que le groupe débute son concert, de quoi nous replonger dans notre jeunesse.
Et que dire de la suite avec Friction, The sea ou Otherwise ? C’est à se demander pourquoi le trip-hop a disparu des radars malgré toutes les émotions que cette musique provoque. D’ailleurs, entendre ces titres nous donne envie d’aller réécouter « Who can you trust », « Big calm » ou « Charango », albums incontournables de Morcheeba. Rien à dire, voilà une vraie bonne entame de festival !




La Fiesta des Suds, ce sont trois scènes plus la scène Bodega (à laquelle nous n’aurons jamais réussi à accéder) et donc des choix à faire en termes de timing et d’affluence ! Mais globalement, les choses sont bien faites et il est aisé de se déplacer de l’une à l’autre avec des horaires de passage permettant de voir beaucoup de groupes.
Nous passons donc la tête du côté du club Major (la plus petite scène) pour y écouter la jeune Baby Sharon. La voix est clairement soul et la musique navigue entre jazz et hip-hop. Nous découvrons une artiste pleine de douceur dont le projet séduit par sa force tranquille.


C’est du côté de la grande scène que nous découvrons la bonne première surprise du festival. Nous avions entendu parler de Dabeull mais n’avions pas vraiment idée de quoi il s’agissait. Et là, la grosse claque atomique. Des musiciens déchaînés (onze au total) autour d’un Dabeull tout droit sorti des années 80 (mais de manière assumée) avec des instruments eux aussi issus de cette époque. Le résultat : un son funk comme on en avait jamais entendu en live et un grand moment de plaisir.
Sa tournée, qui s’intitule California Tour, est effectivement passée par la côte ouest juste avant Marseille, de quoi rajouter des paillettes au show. Le groupe s’envolera d’ailleurs au méga festival de Coachella en 2026, preuve d’une qualité certaine.
On s’est laissés totalement embarquer par ce show diabolique et généreux avec des musiciens au taquet et des voix partagées entre quatre choristes au total. Dabeull s’amuse avec sa talkbox, instrument que nous n’avons pas l’habitude d’entendre en live. Nous ne connaissions pas les morceaux et n’avons reconnu que la reprise Maniac de Michael Sembello. Quoi qu’il en soit, assistez à ce show si vous le pouvez, cela fait un bien incroyable et c’est hyper bien fait, que du kiff !






La soirée était loin d’être terminée. Nous avons en effet eu la joie de retrouver l’incandescente Uzi Freyja pour un show brûlant. Nous avions gardé un excellent souvenir de son passage au festival Au Large en 2023 et n’avons pas été déçus par sa nouvelle prestation à Marseille. Accompagnée de deux musiciennes (Chiara et Morgane), la diva underground venait défendre son premier album « Bhelize don’t cry« paru en début d’année.
Comme à son habitude, Uzy souffle le chaud et le froid auprès d’un public à fond qui en redemande. Naviguant entre électro proche des Chemical Brothers, hip hop et spoken word, le set se déroule à cent à l’heure. La température monte pour cette fin de soirée et ses chéris cocos suivent le mouvement sur des titres tels que Burn the witch burner ou Oulala.





Vendredi 10 octobre
Il est toujours aussi plaisant de profiter de Marseille après une aussi bonne soirée. La suite s’annonce également de haute volée.
Nous arrivons dès le début des hostilités pour cette deuxième journée de festival. C’est le jeune Louis LNR qui ouvre le bal. C’est un set plein de douceur auquel nous assistons. Voix veloutée et folk intimiste, Louis LNR nous raconte des histoires intimes. Il est d’ailleurs très ému au moment de dédier l’une de ses chansons à sa maman, partie récemment, qui adorait flâner au Mucem dont l’imposante silhouette se dresse juste au-dessus de la scène.


Sur la grande scène Keziah Jones fait du Keziah Jones. Rien de nouveau du côté du roi du blufunk (son dernier album « Captain rugged » date tout de même de 2013 !). C’est groovy et millimétré. Son titre phare Rhythm is love résonne sur le J4, repris en cœur par tout le public.

Sur la petite scène, c’est la rappeuse Waralu qui chauffe la place. Originaire de Buenos Aires, la jeune musicienne mélange rap, reggaeton ou UK Garage pour un set enfiévré. Nous sommes peu nombreux devant la scène mais elle et son comparse aux machines se déchaînent nous plongeant au cœur d’un club underground argentin.


La bonne surprise arrive du côté de la scène centrale avec Aïta mon Amour. Voilà un projet que l’on peut qualifier d’original puisqu’il mêle l’art ancestral marocain de la Aïta à de l’électro parfois franchement punk. La Aïta qui signifie « le cri » ou l’appel » puise ses origines dans les campagnes marocaines et a été un véritable chant de résistance porté par les femmes. Ces textes, dont se saisit avec force Widad Mjama, résonnent avec puissance, accompagnés par la musique parfois furieuse de Khalil Epi. Nous sommes happés par le set et cette tradition orale du XVIIIe siècle qui nous parle de ces femmes fortes et rebelles. Ce concert retentit d’autant plus ici puisque nous nous trouvons sur un quai qui a récemment pris le nom de Gisèle Halimi, grande figure féministe disparue en 2020.



Après cet incroyable concert, nous retrouvons la grande scène qui accueille le rappeur Youssoupha. On ne va rien vous cacher, c’est un artiste qu’on découvre et dont on ne connaît pas la discographie. Musicalement, c’est du rap conscient tendance Abd al Malik ou Oxmo Puccino. Et franchement, c’est bien fait avec des textes accrocheurs et une personnalité lumineuse. Youssoupha échange énormément avec son public, n’hésitant pas, au milieu du show, à se lancer dans un quasi stand-up en interpellant directement ses fans.
Au cours du concert, il s’adresse à sa femme Gigi, à son fils Mon roi puis à sa fille Dieu est grande avec un texte plutôt féministe. Puis il parle beaucoup d’amour et d’apaisement entre les peuples. Ça change du rap bling bling et de la violence pour le plaisir. Le public est conquis et Youssoupha finit son set au milieu de la fosse, maillot de l’OM sur les épaules.





La soirée se poursuit avec le set afro punk de Tshegue uniquement accompagnée de son comparse Nicolas «Dakou» Dacunha. Avec un set mélangeant allégrement le punk et la techno, tout cela sur une base musicale puisant dans les rythmiques africaines, le projet porté par Tshegue est une véritable déflagration sensitive. L’énergie est là, présente tout au long du set, attrapant tous les corps soumis à la volonté de cette musique inclassable. Elle finit son set sur un « Restez soudés » que nous garderons en tête par les temps qui courent.

Voilà encore une très belle soirée à l’image du festival, généreuse et audacieuse. C’est donc euphoriques que nous regagnons notre logement, en prenant le temps de flâner le long du Vieux-Port.
Samedi 11 octobre
La journée a été belle avec un grand soleil au rendez-vous. Marseille est encore plus séduisante à l’automne quand la folie de l’été est passée.

Traditionnellement, le samedi est la grosse soirée de la Fiesta. Ce soir n’échappe pas à la tradition avec une jauge déjà bien remplie dès l’ouverture des portes. La faute à une programmation explosive qui a fortement mobilisé la communauté antillaise de Marseille et ses alentours. On sent que ça va être chaud ce soir et effectivement, ce sera vérifié.
Ce qui nous marque d’entrée est que le club Major déborde déjà et danse avec effervescence sur les scuds de DJ Mapouia. C’est que la DJette ne cherche pas à calmer le jeu avec un set déjà bien brûlant à l’heure de l’apéro.

Malgré la bonne ambiance, nous changeons de site et progressons avec difficulté sur la scène centrale afin d’y découvrir le jeune chanteur britannique Joe Yorke. Originaire du Nord de l’Angleterre, le musicien a grandi aux côtés du punk et du reggae. Il a ensuite embrassé la scène reggae dans son ensemble en jouant parallèlement en live et en soundsystem. Sa musique est basée à la fois sur le dub jamaïcain et le rocksteady. Sa voix haut perchée surprend au début mais séduit au final faisant de ce concert notre coup de cœur du soir.
Puisant tout à tour dans le dub, la folk ou la soul, Joe Yorke nous propose un set séduisant porté par sa voix de crooner qui prend de l’altitude. Nous ne connaissions pas son répertoire hormis le superbe titre Zara qui résume un peu la capacité d’hybridation de cet artiste iconoclaste. Un artiste à découvrir de toute urgence.




Nous retournons aussi vite que possible au club Major afin (de tenter) de découvrir la sulfureuse Bamby dont nous avions vu quelques clips avant de venir. La reine guyanaise du dancehall a fait salle comble pour son show qui a du créer pas mal de frustration pour celles et ceux qui sont restés à l’extérieur du club. Car à l’intérieur c’était le feu et on se demandait combien de temps les enceintes allaient tenir debout vues les vibrations sur le dancefloor. C’est là que l’on prend conscience de la renommée de certains artistes dont nous n’avions jamais entendu parler auparavant. Nous ne tenons pas très longtemps dans cette étuve et laissons les fans profiter du moment.

Nous décidons d’aller profiter de la grande scène où l’emblématique groupe Groundation a pris place. Les californiens sont au grand complet pour un concert que vous pouvez découvrir en intégralité sur la page de RFI. Venus défendre son dernier album « Candle burning » sorti ce printemps, Groundation a assuré un set propre, peut-être un peu lisse. Nous ne sommes pas rentrés dans ce concert, ayant déjà reçu quelques shot d’énergie pure auparavant.




Ce soir la Fiesta des Suds joue à guichet fermé et cela se sent. Autant nous avons vraiment profité de l’ambiance des deux premières soirées, autant ce soir tout apparaît comme un calvaire, que ce soit pour se déplacer ou pour aller chercher à manger ou à boire. Les gens sont absolument partout, ce qui impacte l’expérience positive vécue en tant que festivalier.
Quoiqu’il en soit, nous ne lâchons rien et partons découvrir le set de Blaiz Fayah, autre digne représentant du shatta et du dancehall hexagonal. Ici aussi l’ambiance est très très chaude et on est projetés dans un club sur la côte caribéenne. Les corps se lâchent, dans le public et sur scène, et le twerk devient la dance officielle de la soirée. Les basses sont surpuissantes et font trembler les corps jusqu’aux tréfonds du J4. Néanmoins, on reste un peu sur notre fin avec un set un peu désincarné et robotique.



Mais ce soir, tout le monde attend le retour sur scène de Kassav. Et les symboles étaient forts avec la l’absence de Jacob Desvarieux (disparu en 2021), ce dernier ayant passé son adolescence dans la cité phocéenne. Et on peut dire que la ferveur était bien présente ce soir.
Difficile d’avoir un avis sur un groupe aussi emblématique, qui a donné au zouk une dimension mondiale. Les titres Yélélé, Syé bwa ou Kolé séré résonnent dans nos têtes et prennent une autre dimension joués en live comme ce soir. Malgré leur longévité (le groupe est actif depuis 1979 !), les musiciens sont toujours aussi enthousiastes et les chorégraphies restent à l’image d’une époque pas si lointaine.
Et franchement, il faut tenir la distance avec les rythmes proposés ! les tubes s’enchaînent pour le plus grand plaisir des fans jeunes et anciens qui ne sont pas prêts d’oublier cette soirée. Nous finissons par un Zouk-la sé sel médikaman nou ni qui met en joie la foule au moment de quitter la scène.




Malgré la fin du concert auquel tout le monde voulait assister, la foule ne se disperse pas et la fête continue du côté du club Major avec Alo Wala. Basée à Copenhague, au Danemark, la rappeuse penjabi-américaine nous offre un set mixant hip-hop et électro avec un flow en hindi ou en bengali. Même si la voix parait parfois un peu nasillarde, le set est plaisant et engagé. Une belle manière de conclure cette édition de la Fiesta des Suds.

Alors, comment conclure cette nouvelle édition de la Fiesta des Suds ? Comme chaque année, on ne peut que saluer l’organisation du festival qui, hormis le dernier soir avec sa jauge pleine, est à la hauteur de l’événement. La sélection de food-truck est excellente et nous nous sommes particulièrement régalés avec les fritures de la mer. Côté bière, c’était Pietra ou rien mais pour une fois, on est contents. Et que dire de ce J4 – quai Gisèle Halimi, si bien adapté à cette Fiesta que nous ne manquerions pour rien au monde !
Un grand merci à l’équipe d’organisation de la Fiesta des Suds et plus particulièrement à Barbara pour l’accès à ce bel événement.


Crédits photos : Olivier Scher
