Profitant de sa présence à Marseille dans le cadre de sa nouvelle tournée, nous avons rencontré Romain de la Haye alias Molecule avant son concert. Si le producteur de musique électroniques est aujourd’hui connu pour ses captations sonores dans des milieux extrêmes, il revient aujourd’hui à ses racines dub avec la sortie de son nouvel album RE-201.
Bonjour Romain. J’ai revu ton film Sound of surfing il y a quelques jours et suis ton travail depuis longtemps. Je suis toujours très impressionné par la manière un peu candide dont tu débarques dans des endroits souvent extrêmes pour réaliser tes projets. Comment cette envie t’es venue ?
Le point de départ, c’est ce projet en 2013 où je suis parti sur un bateau industriel pendant plus d’un mois en plein Atlantique avec tous mes instruments et des microphones. C’était un rêve d’enfant car la mer m’a toujours appelé je dirais et quand j’ai commencé à faire de la musique, je m’étais toujours avancé dans l’idée qu’un jour, j’irais derrière cette ligne d’horizon, composer.
J’avais la conviction que je serais inspiré différemment en pleine mer plutôt que dans un studio. Cette aventure, j’ai réussi à la mettre en place. Et dès que j’ai remis le pied à terre, j’ai eu le sentiment que j’avais touché quelque chose dans lequel j’étais moi-même, dans lequel je pouvais m’épanouir totalement, une sorte de liberté, de plénitude et de maturité artistique je dirais. Mêler expérience de vie, enregistrement de sons dans un environnement exceptionnel, mettre tout ça en musique in situ, ne rajouter aucune notre une fois revenu. Cette idée de dogme a peu à peu commencé à se mettre en place. Et l’envie surtout, de repartir ailleurs. Après la sortie de l’album, un livre, la tournée, je suis parti au Groenland. Rebelote, avec Nazareth puis un projet important avec le Vendée Globe et la dernière aventure, qui est plus confidentielle, est une résidence sur le phare de Tévennec en Bretagne. C’est une sorte de processus artistique qui me parle.
Finalement, et pour répondre à ta question, les raisons sont plus claires aujourd’hui qu’au départ. Au départ c’était une intuition, une envie. Une envie de vivre ma vie comme ça et de partir sur un bateau longtemps, en pleine mer, sans voir la terre pendant des semaines. Et puis avec le recul, c’est une besoin de se reconnecter aux éléments. J’habitais à Paris, j’en suis parti il y a un an. Donc oui, se reconnecter. Pour moi la musique, l’écoute, c’est une manière de répondre au grand mystère de la vie. C’est une quête que je continue à faire et qui m’amène comme ça à des points où on ne m’attend pas forcément.
Ce que je trouve intéressant, c’est que c’est une recherche d’abord en lien avec les éléments naturels. Tu parles beaucoup de la mer et c’est ce que l’on retrouve dans tes projets, une approche contemplative et enveloppante. Mais la nature c’est aussi des êtres vivants et je remarque qu’ils ne sont pas présents sur tes albums jusqu’à présent, à l’exception de la présence humaine avec les musher au Groenland. Est-ce qu’il t’arrive ou as-tu déjà fait un peu de field recording dans des milieux où la biodiversité est plus présente, au-delà de ce support des éléments ? Et est-ce quelque chose qui te touche aussi ou ce sont uniquement ces grands espaces vierges qui t’intéressent ?
C’est une bonne question car j’ai effectivement toujours, d’une manière très consciente et volontaire, mis de côté l’aspect humain et l’aspect culture pour me concentrer sur l’élément, sur la puissance d’un élément (air, mer, vent). C’était un peu ma quête. Ça l’est toujours un peu mais je dois bien avouer que dans les projets que je suis en train d’élaborer, l’humain, l’animal, la culture sont des sujets qui vont devenir un peu plus centraux pour moi. Je ne peux pas trop en dire plus mais effectivement c’était volontaire.
Sur l’aspect culturel et traditions, le voyage au Groenland a été vraiment bouleversant de ce côté-là. On l’entend un peu, tu l’as dit, avec les musher mais l’aspect culturel, rites ou sonore de leur environnement est quelque chose sur lequel j’aimerais travailler à l’avenir.
Pour faire le lien avec l’aspect culturel et le retour aux racines, j’aimerais parler de la sortie de ton nouvel album au nom mystérieux RE-201 que j’aimerais déjà bien que tu nous expliques.
J’aime les chiffres. Sur la plupart des projets que je mène il y a des chiffres. RE-201 c’est tout simplement la référence d’un modèle d’écho à bandes et de réverbération à ressorts fait par la marque Rolland et qui est un effet, un instrument légendaire utilisé par les sorciers du dub jamaïcain, Les Lee Perry, King Tubby, Mad Professor. Ce sont des personnages qui m’ont beaucoup influencé. Ce sont les premiers à avoir approché le son comme une matière qu’on pouvait sculpter et qui ont transformé le studio en un véritable instrument de musique.
Donc on n’a plus besoin d’être musicien. En tournant des boutons avec des effets, en faisant passer un bruit de vache, un cri d’enfant, un bruit d’oiseau, ils en font de la musique et racontent une histoire avec tout ça. Et ça va parler. Dans le travail que je mène j’ai cette influence dub depuis toujours. Et ce disque, dont c’est la 4ème date de tournée ce soir, c’était l’idée de se dire que j’avais droit à un peu de chaleur après tout ce que j’ai fait dans le froid et dans des endroits hostiles. C’est également un hommage à ces chanteurs légendaires de reggae et aussi à ces acteurs de la french touch. Je suis d’une génération qui est arrivée juste après les Daft punk, Cassius et consorts et aujourd’hui de travailler en studio avec Etienne de Crecy, avec Boombass de Cassius, DJ Falcon qui est un collaborateur proche des Daft punk, c’était aussi un rêve.
Cet album c’est un peu une bouffée d’air frais dans mon parcours pour emmagasiner plein d’énergie et la partager avec le public en tournée je dois bien l’avouer, pour mieux repartir en solitaire prochainement après cette petite parenthèse.
Tu es allé en Jamaïque pour l’élaboration de cet album ?
Oui, je suis parti dix jours en Jamaïque pour enregistrer les voix de Johnny Clarke, Cedric Myton des Congos, Big Youth, Leroy « horsemouth » Wallace, Prince Alla, Jah Thomas, des gens qui ont marqué mon adolescence, plutôt des chanteurs âgés qui ont eu leurs heures de gloire dans les années 70 dans ce qu’on appelle le reggae roots. Ce sont des gens qui ont eu plusieurs vies et collaborer avec eux en studio, c’était magnifique.
Et pour cette nouvelle tournée, on peut s’attendre à quelque chose de particulier sur la scénographie ?
Le live est centré sur cet album avec les morceaux revisités et étirés. J’ai une configuration live qui me permet de faire ce que je veux avec la matière que j’ai et vraiment d’improviser en fonction des réactions du public. Il y a un travail et une attention toute particulière qui ont été faits sur la scénographie avec comme référence le Sound system qui est un élément important de la culture jamaïcaine. Il y des vidéos, des projections, de la lumière.
Ce sont des moments importants car ce sera seulement la 4ème fois qu’on va jouer le show, au bord de la mer, dans un endroit que j’aime beaucoup et dans une ville où c’est toujours un plaisir de venir et j’ai hâte de partager ça et de voir ce qu’on en dit ici, dans le Sud.
Propos recueillis par Olivier Scher le 7 octobre 2023 lors du festival marseillais La Fiesta des Suds.
Molecule est de passage à Paloma de Nîmes (30) le 16 novembre prochain.