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« Une vraie liberté ne se proclame pas, elle s’exerce ». C’est par ces mots des organisateurs de TINALS justifiant le report à 2021 du meilleur festival indépendant français, compréhensibles mais déchirants, que débutait cette semaine. La maxime est belle et particulièrement en phase avec ce double concert. En première partie, Mette Rasmussen et son saxophone alto donnait le ton, suivi du groupe de post-rock Godspeed You! Black Emperor.
En mise en bouche, une très instructive conférence de Claude Chastagner, professeur de civilisation américaine à l’Université de Montpellier dans le cadre de Paloma Papote. Le sujet n’est autre que le post-rock et Constellation Records, le label du groupe Montréalais de ce soir. Confortablement allongés dans les chaises longues de TINALS (la gorge reste serrée en pensant au début d’été 2020), les quelques irréductibles mélomanes se laissaient emmenés par les sonorités progressives proposées par les artistes de ce label. Et c’est peu dire que celles-ci façonnent un ensemble cohérent, underground et révolutionnaire. Effectivement, le label signe majoritairement des groupes de Montréal et les alentours de façon à garder un rapport humain fort. D’ailleurs, la plupart des artistes jouent dans plusieurs groupes du label. Les packaging sont réalisés par des artistes locaux et les ventes d’album se font préférentiellement chez des disquaires indépendants. Qui dit mieux ?
Direction la grande salle pour accueillir la virtuose Mette Rasmussen, son saxo comme prolongement de son être à la fois doux et torturé. Du free punk jazz (véritablement difficile à décrire), distillé avec une émotion et une intensité rares. Une exploitation sonore maximale de cet instrument avec des jeux sur le souffle bluffant et une rage de tous les instants. Mette Rasmussen s’égosille à sortir toute sa rage de son corps et de son saxo, parfois enfoui et feutré, s’amuse en bouchant partiellement sur sa cuisse, parfois en s’époumonant à distance du bec en y mêlant sa voix. Ses titres s’étirent pour faire ressortir la poésie, parfois violente. Un exercice difficile réussi avec brio et réservé à une oreille avertie.
Poursuivant dans cette quête d’indépendance, GYBE (pour les intimes) débarque avec ses quatre guitares électriques, son violon, ses deux batteries et sa basse pour un spectacle total. Total, car à cet orchestre électrique sur scène s’ajoutent deux virtuoses de l’image basés sur l’étage de Paloma, tristement délaissé par les spectateurs. Tant pis, ceux qui sont là profitent de la proximité générée par une configuration originale de la salle. Vous l’aurez compris, ce groupe ne fait pas dans la facilité mais dans l’art. Ainsi, ne profitant pas des opportunités technophiles d’un black Friday qui semble s’étendre sur des semaines, les loustics se chargent de jouer de leurs vidéoprojecteurs en utilisant des pellicules préalablement découpées et arrangées artisanalement. La poésie se révèle ainsi par le vol de goélands et de colombes dans un ciel gris. Quel talent !
La musique progressive se mêle aux images à moins que ce ne soit l’inverse. La puissance générée par cette clique habitée, organisée en demi cercle, ne se laisse percevoir que par moment, tant l’harmonie qui se dégage de ce mélange est cohérente. On est transporté par cette musique qui monte en intensité au fil des morceaux, où la basse alterne avec la contrebasse, l’électrique avec l’analogique au service d’une poésie puissante et de messages suggérés. On escalade ainsi un gratte ciel interminable au fil des guitares saturés comme si aucune limite physique ne s’imposait. Mette Rasmussen s’insère dans ce groupe comme un poisson dans l’eau, au centre de l’hémicycle révolutionnaire, en plein débat musical. Le tumulte monte, les guitares s’aiguisent. La critique de tout ce qui tourne pas rond est insufflée. Tout y passe, manifestations réprimées, frappes chirurgicales, vieux coucou qui n’en finit plus de chuter, complexité de ce monde moderne, avec ses réseaux, ses embouteillages, analogiques, numériques. On se rapproche d’un Koyaanisqatsi, volontairement vieilli. Cette complexité sonore et visuelle frôle parfois avec la sophistication, quelque peu élitiste. Plus qu’un concert, ce soir, c’était une ode à la rébellion, à la liberté. Cette liberté qui s’exerce s’accompagne de responsabilité. Chacun s’appropriera le message et devra en prendre sa part. La mienne est de transformer une review photo en conditions difficiles, serré comme une sardine et ne voulant déranger le spectacle par des déclics photo, se terminer en live report…
Set list : Hope Drone – Bosses Hang – Glacier – Fam/Famine (with Mette Rasmussen) – Undoing a Luciferian Towers (with Mette Rasmussen) – Cliff – The Sad Mafioso