Deux regards, deux écoutes, un même désir : après la chronique de “Rays of Resistance” et de son magnifique concert l’année dernière, nous attendions Naâman avec impatience. De la Saône à la Seine, du Transbordeur au Trianon : regards croisés sur une performance source de bonheur comme de regrets.
Pour ces deux dates comme pour une bonne partie de sa tournée, le normand affichait complet. Déjà heureux de posséder un accès dans chacune des salles, nous avions aussi la chance d’avoir une interview programmée avant le concert à Lyon. Amateurs de Naâman depuis ses débuts, nous étions curieux de découvrir son état d’esprit sur de nombreux sujets. D’abord, l’amour du chanteur pour le reggae roots religieux. Disciple de Bob Marley et de toute la vague du reggae jamaïcain des années 70, pourquoi n’évoquait-il jamais dans ses chansons Heilé Sélassié Ier the Most High, King of Kings, Lord of Lords, le Ras Tafari Makonnen ? Pour quelles raisons avait-il particulièrement aimé l’histoire biblique de Naâman, un chef de guerre cherchant à se guérir de la peste, au point d’en avoir fait son nom de scène ? Nous aurions aussi aimé discuter de l’influence de ses récents voyages sur la production musicale de son dernier album ou encore de ce que le normand aimerait que l’on retienne de sa musique. Bref, des questions qui permettent de le situer plus précisément dans l’histoire du reggae et sur la philosophie de sa musique. Finalement, les timings très serrés des journées à Lyon et à Paris rendirent l’interview impossible. Après les deux concerts, nos questions auraient sûrement été toutes autres, si interview il y avait eu. Explication.
A la frontière entre reggae roots et hip-hop, Naâman promettait une tournée à l’image de l’album “Rays of Resistance”, dans un mélange de genres et de sonorités. Renforcée par sa magnifique voix, capable d’envolée lyrique comme de rythmiques précises et véloces dans un flow ragga ravageur et dans une belle tessiture de “cantateur” baryton. On aurait vraiment aimé qu’il vienne accompagné de choeurs pour donner à son live une couleur encore plus vert-jaune-rouge. Débordant d’énergie pendant plus de deux heures alors même qu’il commence son concert complètement def, notre oreille n’a pour autant jamais décelé une seule fausse note. Au vu de la caractéristique criée de son chant, cela démontre encore son immense talent de chanteur. Du début jusqu’à la fin, Naâman impressionne par son amour pour le live, son envie de jouer et de faire sauter son public.
crédit photo: David Gallard
En commençant son live par Outta Road, le normand fait une entrée pleine de classe et se met tout de suite son public dans la poche. Après avoir salué la salle de son large sourire, le chanteur à la gueule d’ange enchaîne avec Pop Dem Bubble, International Love, et Run Away. Il prouve ainsi la diversité de sa musique avec des riddims plus lents, quitte à décevoir les néophytes venus jumper sur Skanking Shoes. Accompagné de son crew et de son beatmaker Fatbabs, Naâman laisse la vedette à ses musiciens pour quelques solos appréciables et se rappelle au reggae roots qui l’a façonné. A Paris, Tetex les considère trop rares et regrette que le bassiste ne profite pas des opportunités qui lui sont données pour faire vibrer le sol du Trianon. Construit en constante évolution rythmique, le live s’accélère ensuite avec Chill Out, Hold the People et Hold on Steady avant de laisser place de nouveau aux prouesses vocales du normand pour Those Rays, My Days (avec Sara Lugo) et la très belle House of Love. Naâman conquit le coeur de Lyon et Paris avec un charisme et une classe hors du commun. En acoustique à la guitare, il rend hommage avec brio au Hermès du Reggae venue d’une petite île des Caraïbes, Robert Nesta M.. Un moment de répit pour un final plein d’énergie. Avec Rebel for life, Naâman annonce la couleur du rappel, avant de définitivement foutre le feu sur une magnifique battle de flow avec Scars à Lyon. A Paris, le Trianon aura le droit à Crossover avec les rappeurs de Phases Cachées, mais aussi à des featurings avec les prodiges de Jahneration, au reggae roots de Marcus Gad, ou à la voix envoûtante de Mary May. L’hétérogénéité de la liste de guests comme symbole de celle de Naâman. Rockers et Hopeful World serviront de parfaites rampes de lancement pour la désormais classique Skanking Shoes qui fait sauter les deux salles. Le scoopomètre et une deuxième Outta Road encore plus rythmée finissent de faire vibrer le Transbo et le Trianon.
crédit photo: David Gallard
Toujours à la frontière entre le reggae et le hip-hop, Naâman a ravi son public avec une performance assez semblable à celle de l’année dernière, la surprise en moins. Mais son public, lui ne nous a pas fait vibrer. Dans une capitale comme dans l’autre (celle des Gaules), l’uniformité sociologique du public sonnait comme une cruelle antithèse de la diversité voulue par le chanteur. L’humanité plurielle chantée par Naâman se transformait alors en une conformité décevante dans la foule. Cette “Seven Nation Army” d’adolescents uniformisés, aux cheveux courts, sac Dakine sur le dos, pétard de shit à la bouche, avait déjà enlevé ses chaussures après House of Love, n’hésitant pas à reprendre l’hymne des White Stripes lors des breaks. Ils étaient là pour sauter sur les basses hip hop de Fatbabs, mais sur les riddim reggae, on comptait les danseurs/”skankeurs” sur les doigts d’une main. Quand Naâman disait être heureux d’entendre “des anciens du reggae [lui] dire qu’ils aiment de nouveau le reggae avec Naâman”, on a vu tout l’inverse. Alors à la fin du concert, on avait plus envie de lui demander de nous éclairer sur ces questions : ton public correspond il à ta philosophie musicale ? Est-ce que tu te sens à l’aise avec ce public qui lache un Seven Nation army entre Karma et My days ? Honnetement Naâman, t’es pas deg ?
De ces questions, Naâman nous répondrait sûrement que c’était un public magnifique, enthousiaste et plein d’énergie qui le soutient depuis longtemps et qui lui a permis d’afficher complet quelques semaines avant le concert. Il nous rétorquerait certainement qu’il incarnait lui-même ce public il y a quelques années dans les concerts de Tryo, Dub Inc. ou Raggassonic et nous renverrait l’appareil en nous demandant dans quels concerts de reggae on était quand on avait 17 ans? Et il aurait eu raison…
crédit photo: David Gallard
Crédit photos: David Gallard
Retrouvez l’album « Rays of Resistance » sur Deezer
Article rédigé par Clemonstro et Tetex