Les montpelliérains attendaient le passage de Cabadzi depuis longtemps : pour preuve, en près de 10 ans de carrière, le duo nantais n’avait encore jamais posé ses valises à Montpellier (34). A l’occasion de leur fabuleux projet « Cabadzi x Blier », c’est désormais chose faite. Si l’affluence n’était malheureusement pas au rendez-vous, le spectacle, lui, a dépassé tout ce que nous avions imaginé…
Pour cette soirée placée sous le signe du hip hop, ce sont d’abord les locaux de Bois Vert, déjà croisés en terres gardoises l’été dernier, qui lancent les hostilités. Sincèrement, comme à Lézan (30), Bois Vert a fait sensation : en distillant des sons oldschool à foison, façon rap des 90’s, les deux MC’s se sont balancés des joutes verbales sans ménagement. Bien appuyé par son combo claviers/machines, Bois Vert a partagé son Art de la connerie en un tour de Pass-pass. En injectant des sonorités jazzy même si C’est pas du swing, le rap des montpelliérains est en pleine mutation et cela s’entend : à la fois moins agressif et plus mélodieux, Bois Vert a bossé. D’ailleurs, le groupe a prévu la sortie de son nouvel album, « Le jus », pour le mois prochain.
Après une courte pause et une scène entièrement débarrassée, les petites mains s’affolent pour boucler l’installation de la structure des deux musiciens.
Plongé dans le noir, un doux parfum d’impatience s’installe entre les murs. Encerclé par une structure rectangulaire filandreuse, le duo peut débuter. Les décors s’animent, l’esprit vagabonde à la lecture des différents protagonistes du show artistique « Cabadzi x Blier ».
Bercé par les premières notes de Dansable, un crépitement résonne, les machines se réveillent en échos d’un « plaisir coupable ». Murmurés, les mots fracassent nos sens dans un silence accablant. Comme si Cabadzi retenait son souffle, l’oxygène commence à se faire rare. Cette ambiance suffocante se poursuit sur Un deux trois, véritable bombe à retardement. Avec les chœurs entêtants, la lumière finit par percer, « un verre, deux verres, trois verres », Cabadzi finit par nous bousculer avec une chrysalide électronique puissante.
Les images qui défilent accompagnent l’imagination et les plongées sont répétées aux côtés des personnages de Blier. Froides ou attachantes, elles provoquent une immersion totale de l’auditoire. Teintés de noir et de blanc, les dessins projetés autour du groupe donneraient presque l’impression que Cabadzi s’est démultiplié aux quatre coins de Victoire 2.
Tandis que les corps commencent à frétiller, le déclic opère. Sur Bouche, les sentiments sont mis à nu et la musique fait le reste. Victorien, le batteur, s’envole dans une belle embardée de percussions pour imprimer le rythme. La machine est lancée…
Amateurs de sensations et de changements de tempo, Cabadzi remet tout le monde à sa place avec l’obscur Reste, là où la peur et la mort font la rencontre de Monique (Tenue de soirée). Bien décidé à effacer ce noir si tenace qui lui colle à la peau depuis le début du concert, Cabadzi a subitement balancé des couleurs sur sa silhouette avec son fameux Polaroïd. Le morceau, excellent déjà sur galette, prend une toute autre dimension en live, avec le tour de force beatbox réalisé par Victorien.
Outre ces éclats sur les murs, le concert se met alors à muter : d’un apparat noir et blanc né l’amour et les couleurs. Des couleurs épatantes, sans fioriture, qui éclaboussent la perception. Oui, car c’est important de le dire, entre en scène et une vague de sensations fortes se propage, portée par des machines qui s’affolent. Le caractère électronique des sonorités s’affiche et s’assume dans un équilibre maîtrisé à la perfection. « Regarde toi dans mes yeux, tu vas te trouver sublime ».
Dans ce volcan en fusion, Rouge envahit Victoire 2. En martelant ses « laisse moi tomber », Cabadzi appuie là où ça fait mal : très saturée, l’electro rencontre le rock et le cœur chavire… Cette once d’espoir finit par s’estomper, comme si la réalité de la vie finissait par l’emporter. Fatiguée, noire à souhait, tutoie le turntablism et dépeint le quotidien pas tout rose d’une prostituée. Oui, « ça matraque la beauté ». La mélodie touche sa cible, les violons avec, un genou est à terre.
La mise à mort sera sonnée sans mise en garde avec Bain, glacé, qui laisse espérer des lendemains meilleurs. Sentant bien que la fin est proche, Cabadzi relancera une dernière fois sa folie destructrice avec Jamais, hurlant, en s’y reprenant à deux fois. Un dernier tour de piste brûlant, en mode torcher, afin de boucler la boucle.
Avec un spectacle autant musical que cinématographie, Cabadzi a sublimé l’oeuvre de Blier pour y consacrer l’intégralité de son concert. La poésie a foutu une claque à l’agressivité. Un concert atypique, hors des clous conventionnels, qu’il est bien rare de rencontrer. La prouesse, car c’en est une, démontre aussi l’immensité du travail réalisé autour de ce projet qui dépasse de loin le seul duo visible. Cela traduit une sacrée aventure humaine qu’il paraît impensable de ne pas la partager…