Rencontre avec les Airs Solidaires à Toulouse (2/2)

19 min de lecture

Les affiches des Airs Solidaires n’en ont pas fini de fleurir la ville rose : à une poignée de jours du coup d’envoi de la 5ème édition du festival qui aura lieu du 16 au 24 mars prochains à Toulouse, Discordance est parti à l’encontre d’Adrien Pierrin, programmateur, entre autres, du festival des Airs Solidaires. Deuxième partie de cet entretien.

Au delà de l’édition 2012 du festival, c’est avec un œil attentif que le programmateur des Airs Solidaires a pu aborder l’état de santé de la musique actuelle française et la difficulté à ancrer de façon durable des évènements culturels depuis plusieurs années.

Penses-tu que le festival les Airs Solidaires puisse se développer en extérieur ?

Adrien : On s’était renseignés. Mais c’est pharamineux ! Une installation de scène, tout le matos, et surtout des chapiteaux car il y a toujours le spectre des intempéries, c’est actuellement impossible. L’intégralité de notre budget passerait là-dedans… Sur Toulouse, le nombre de festivals qui ont coulé à cause d’un foutu orage le jour-même est impressionnant. C’est trop risqué. Ce qui nous intéresse, pour le moment, c’est avant tout de faire pérenniser le festival en créant une base solide. Déjà cette année, on a failli avoir que 2 soirées concerts au lieu de trois.

Motifs financiers je suppose ?

Adrien : On va dire que le festival est très subventionné. C’est à dire à hauteur de 50%, le reste se comble grâce à l’autofinancement, billetterie, boissons, sandwichs et de petites missions pancakes sur les universités. Quand on dit que l’on est inter-universitaire, c’est que l’on fait des évènements dans chaque université toulousaine et l’on peut bénéficier, par conséquent, des subventions des différents établissements. Mais cette année, un établissement qui nous avait donné 8 000€ la fois précédente, ne nous a donné que 1 000€. Ça a été une immense claque, il a fallu chercher des fonds ailleurs et trouver un plan B de secours…

Malgré une différence d’envergure de projet, penses-tu que celui des Airs Solidaires se démarque des autres évènements ? Par exemple, proposer des places à 7€ pour les groupes présents c’est devenu assez rare aujourd’hui !

Adrien : Pourquoi ? Les grands festivals cherchent à attirer les festivaliers en proposant le plus de groupes possibles sur peu de jours… Ils font de l’événement industriel culturel ! Je ne cherche pas à critiquer ce genre d’événement mais…

… vous êtes opposés à cette uniformisation des festivals dans leur programmation ?

Adrien : On ne voulait pas favoriser la quantité… On aurait très bien pu faire un festival sur 2 jours avec divers styles, deux scènes. Mais je veux que l’on garde l’image d’un festival cohérent. Cela me fait toujours chier d’aller dans un festival et de me rendre compte que deux groupes qui me plaisent passent en même temps ! On veut garder une formule conviviale, et il faut dire que le fait que l’on soit tous bénévoles aide aussi. Ça motive !

D’ailleurs, au niveau du financement, vous faites appel à des partenaires publics ?

Adrien : On ne veut pas avoir de partenaires privés tels que Mc Do, BFM tv ou Airbus. Donc on va taper à la porte des fondations. De toute façon, au niveau des partenaires privés, c’est beaucoup communicationnel. On a un peu regardé franchement, on était ouverts à toutes pistes, mais au final nous avons eu peu de retours. On ne veut pas non plus perdre notre indépendance. Nous sommes apolitiques, mais on ne peut pas dire que le festival, à travers nos thématiques, n’est pas engagé. On est aussi en 2012, on ne veut pas tomber dans l’image du festival pur gaucho ou pro immigré. On essaie de faire des conférences juridiques, scientifiques, ou plus engagées sur le droit d’asile.

Est-ce que cette question des partenaires privés n’est pas « un mal français » ? Cela se passe différemment à l’étranger…

Adrien : En France, la notion de culture reste relativement différente par rapport à d’autres pays. On ne comprend pas tout ce qui est commercial. Aux Etats Unis quand tu veux monter un projet culturel, ça va tourner autour d’un bar, de la consommation, des sorties et des loisirs. Notre objectif, je me répète, n’est pas de faire le festival le plus gros et le plus rentable ! Donc en soi, si tu n’as pas une visée commerciale, tu n’es pas obligé de l’être ! Bien sûr que c’est plus difficile, mais tu peux très bien t’en sortir. C’est sûr que quand tu fais le Sziget, les Vieilles Charrues, tu as quand même une autre vision… Quand tu vois le Garance Reggae Festival à Bagnols-sur-Cèze dans le Gard (ndlr : plus gros festival de reggae français), les mecs sont là pour le business ! C’est du vrai business, tu ne peux pas négocier avec eux même si tu as un super projet derrière.

Je te rejoins sur l’idée, mais tu es quand même pris à la gorge tous les ans pour espérer perdurer donc le financement externe est aussi une obligation…même si les proportions peuvent être très variables en fonction des festivals.

Adrien : C’est un choix. Je respecte ceux qui choisissent les autres voies. Personnellement je pense qu’on va chercher à monter un autre festival, mais celui-ci en tout cas est comme ça. Je trouve ça assez noble pour le coup… Les financeurs privés iront sur un festival, je pense, avant tout musical, pour les retombées qu’ils auront derrière. Après dire que se tourner vers des partenariats privés c’est « vendre son cul », on entend un peu tout et n’importe quoi à ce sujet.

Là tu vois cette année avec la baisse des financements, on a cherché un peu partout. Les banques par exemple aiment bien les défis jeunes. Nous on fait avec la mairie de Toulouse, le Conseil Général, la Région, les universités…

Je sais que l’on nous a aussi dit que se tourner vers des financements publics, c’est également « vendre son cul ». J’ai rarement entendu autant de conneries ! En gros les mecs te disent que si tu es subventionné tout court, tu ne peux pas être un festival indépendant, que tu n’es pas libre de tes choix et que tu profites avant tout de l’argent de l’Etat. Tu te retrouves limite capitalistes ! Il faut arrêter ! (rires).

Déjà on a de l’argent, si tu trouves que l’Etat s’en sert mal, je dis tant mieux que l’on essaie d’en prendre un peu pour faire quelque chose de bien ! Je crois que les gens ne se rendent pas compte ce que c’est d’obtenir des subventions. Lorsqu’on regarde le Hellfest, ils ont, sans dire de bêtise, 82% d’autofinancement. Pourquoi ? Ils ont réussi à se spécialiser dans un genre musical précis, d’envergure nationale, avec un public fidèle qui se déplace de l’Europe toute entière pour y assister. Les métalleux sont prêts à payer le prix d’or pour assister à la brochette d’artistes présents à chaque édition.

Transition oblige puisqu’on parle financement. Remarques-tu que c’est de plus en plus difficile d’année en année ? La fameuse crise est passée par là ?

Adrien : (rires) Oui, bien sûr… Comme toutes les musiques actuelles en France malheureusement. Nous sommes définitivement le parent pauvre de la culture.

Je ne sais pas si tu as vu le dernier rapport du CNV qui souligne que la fréquentation des salles de concerts en France a diminué de 30% en 2011.

Adrien : Mais tu vois on est tous scandalisés de voir ce que la mairie de Toulouse donne au Printemps Septembre. C’est vraiment le stéréotype auquel on s’oppose. C’est un festival parisien à l’origine des Beaux Arts. Il a été relayé sur Toulouse, vitrine parisienne oblige, parce que cela reste aussi les Beaux Arts et que c’est un art noble plutôt en contradiction avec les musiques actuelles. Mais si tu savais les subventions énormes qui sont données dans ce festival ! Pour une paire d’initiés… qui eux même des fois ne comprennent pas ce que ce festival propose. On a des mecs qui demandent des milliers d’euros pour des performances incompréhensibles. Pas toutes, attention, mais une partie. De toute manière, le festival restera beau car c’est les Beaux Arts, Paris, etc, donc on subventionne !

Et dans le domaine des musiques actuelles, c’est l’inverse. Les gérants de salles de concerts indépendants, ils en chient ! Pour faire tourner une salle de concert toute l’année c’est de la pure folie. Le gars du Garorock pour s’en sortir il a une dizaine de projets en cours ! Tout ça pour dire que je préfère avoir un projet un peu plus petit au final, en gardant à l’esprit que je ne fais pas un projet culturel pour gagner de la thune sinon tu franchis la limite qui est que ton projet doit être rentable. C’est le problème. Avoir des bénéfices pour les reverser à une asso c’est une chose, l’inverse, c’est faire l’opposé. Il est clair que pour ces festivals, proposer une place à 40€ c’est strictement nécessaire. C’est normal au fond, ils ne sont pas là pour nous faire de la culture à bas prix.

Tu sais c’est un peu pareil à Montpellier… Pas de festival de musiques actuelles excepté les Internationales de la Guitare, et encore, c’est plutôt le festival Radio France qui s’accapare le magot.

Adrien : Mais après il ne faut pas démarcher les financeurs en disant : « je suis fan de hip hop et je voudrais faire un festival hip hop ! ». Il faut mettre en avant un projet, jouer sur la sensibilisation, et les Airs So ont pu démarrer grâce à ça. Je pense qu’aujourd’hui il est impossible de créer un festival comme le Hellfest en partant de zéro… J’en connais qui ont voulu lancer leur projet sans thune au départ, maintenant ils pleurent parce qu’ils ne rentrent pas dans leur frais mais tellement ils sont fans, ils continuent !  On a tendance à un peu tout mélanger aujourd’hui, c’est peut-être ça le mal français.

Festival les Airs Solidaires 2012

Ils sont passés au festival les Airs Solidaires…

– 2011 : Anakronic Electro Orkestra + Hexstatic + Kacem Wapalek & Oster Lapwass + Les Sages Poètes de la Rue + Tektonik Chamber + Lyre le Temps + Dub Pistols
– 2010 : Hilight Tribe + La Rumeur + Mad Professor + Iphaze + Herbal Frey + New York Ska Jazz Ensemble + Syncopera
– 2009 : Lilea Narrative + Dj Netik + Le Lutin + QG + Collectif Toucouleur + La Scred Connexion
– 2008 : Beat Torrent / C2C + Brain Damage + La Caution + As de Trêfle + Polyglotte + Samarabalouf

Effet loupe sur l’une des associations à l’initiative du festival les Airs Solidaires : l’assoc’ya Sound

L’’une des associations partenaires créatrices du festival, l’assoc’ya Sound, est présidée par le programmateur du festival, Adrien Pierrin. Si le festival reste le plus gros événement de l’année, l’assoc’ya Sound s’est créée à l’origine afin de promouvoir la scène culturelle locale toulousaine. Basée à Sciences Po, l’association œuvre pour organiser des soirées avec des artistes locaux : « le cycle d’une année universitaire dure environ 9 mois, on cherche donc à mettre en place un concert par mois dans différents bars toulousains. En faisant une rotation dans les bons coins de la ville, les soirées sont variées dans le sens où tous les genres musicaux sont représentées » confie Adrien.

Avec une affluence variant entre 50 et 150 personnes par soirée, « les gens viennent boire un coup à travers des séquences découvertes musicales. Car faire la promotion de musiciens locaux ne veut pas dire forcément qu’ils sont amateurs ! Avec un prix libre, on sait que l’on arrive à satisfaire tout le monde… » précise-t-il.

Enfin, en parallèle des ces soirées, l’assoc’ya Sound organise entre un et deux gros concerts le restant de l’année en parallèle du festival les Airs Solidaires : « il y a des musiciens partout… il faut savoir les trouver ! ».

Pour en savoir plus…

Festival les Airs Solidaires, à Toulouse du 16 au 24 mars 2012.

– Site officiel les Airs Solidaires : http://lesairssolidaires.org
– Myspace : http://www.myspace.com/lesairssolidaires
– Page Facebook : http://www.facebook.com/LesAirsSolidaires
– Concours (places à gagner) : http://lesairssolidaires.org/un-concours-bien-solide/
– Myspace Assoc’ya Sound :
http://www.myspace.com/assocyasound

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