Le Berry, Temple du reggae pour un week-end (Issoudun, 36) 20-22.10

12 min de lecture

Pour sa cinquième édition, le Issoudun Reggae Temple revenait plein d’ambitions. Avec Tryo et Dub Inc, le festival s’est offert un joli succès berrichon le samedi soir. Surtout, de belles surprises sont venues émailler le week-end. 

« Ouais Coach, tu peux venir me chercher au PMU d’Issoudun ? J’ai perdu mon permis hier soir au festival ». Le dimanche est douloureux pour Anthony*, qui sirote son café allongé en jetant un œil à la victoire de Ice Breeze sur l’hippodrome de Saint-Cloud. « J’étais venu pour Dub Inc. Je partais en boîte à Bourges après mais je me suis fait serré, j’avais un peu bu. Ils ont rien voulu savoir ». Las, touché mais pas abattu, Anthony reprend le volant de sa Opel direction le stade de foot de Saint-Florent-sur-Cher.

La gendarmerie et le Reggae Temple semblent nouer une histoire passionnelle, tant le sujet était sur toutes les lèvres ce week-end. Le dispositif mis en place par la GENDARMERIE NATIONALE (repos !) était une nouvelle fois tentaculaire, après une année 2016 qui avait déjà permis de remplir tous les quotas de la région Centre-Val de Loire. La lettre du directeur du festival n’a semble-t-il pas annihilé la raideur du Préfet, de nombreux festivaliers étant une nouvelle fois passés au tourne broche.

A l’image d’Anthony, la majorité des 2700 personnes présentes ce samedi soir s’étaient massés pour voir les concerts de Tryo et Dub Inc. « Tout l’enjeu du festival est de trouver cet équilibre entre des artistes confirmés français, des artistes roots étrangers et la scène montante » explique Joffrey, directeur du festival. « On souhaite mélanger les publics, que des gens d’horizons différents passent un beau moment ensemble ». La mission est plutôt réussie car en effet, rarement un festival reggae n’a rassemblé un public si large. Dans le parc des expositions d’Issoudun, prêté gratuitement par la ville au même titre que le système son et lumière, l’organisation a soigné sa mise en scène, pour offrir une ambiance conviviale malgré quelques petits accrocs (les câbles de la régie qui pendent depuis le plafond, à l’ancienne). Bon, avouons-le, c’est un brin poilu de nommer le festival « Temple du reggae » dans un gymnase au cœur de l’Indre mais on ne peut qu’apprécier le kiff. L’organisation est, elle, réglée au millimètre et l’accueil familial et très chaleureux que nous avons reçu correspond aux valeurs que transpirent le festival.

Côté musique, les deux soirs (nous n’étions pas présents le vendredi) ont sonné juste. Le samedi, Tryo puis Dub Inc ont déroulé des sets parfaitement maîtrisés, en puisant dans leurs classiques : Hymne de nos campagnes, Sortez les poubelles, Watson, Désolé pour hier soir (Tryo) et My freestyle, Rudeboy, ou Murderer entre autres pour Dub Inc. L’énergie produite sur scène s’est propagée dans une foule acquise à leurs causes. Les 2700 personnes ont sauté, dansé, chanté sur les paroles de ces deux groupes qui ont marqué les 10-15 dernières années de la jeunesse berrichonne. Dans leurs styles respectifs, on a été positivement surpris tant par la qualité musicale que par l’engagement mis par les deux groupes, qui ont véritablement « mis le feu » au Parc des Expos. Au milieu de cette belle fête, beaucoup trop d’écrans de téléphone sont malheureusement encore venus envahir l’espace visuel. Seuls les anciens du Massilia Sound System ont invité le public à « vivre le concert ici et maintenant, plutôt qu’à travers vos écrans ». Mais le Massilia n’était pas en terrain conquis dans le Berry. Loin de la fureur de ses concerts sudistes, le Massilia a quand même usé de ses recettes ancestrales pour mettre l’oaï, en servant le pastis aux premiers rangs, en rigolant entre eux avec chaleur et authenticité et en chantant Au Marché du Soleil ou La Farandole de la récolte. Même si l’aïoli n’avait pas la saveur des soirées à la maison, le Massilia a tout de même réussi à enchanter les esprits berrichons.

Plus tard dans la nuit, changement de cap, changement de style. Loin des accords de Tryo ou du flow de Dub Inc, un « elder » du reggae roots jamaïcain est venu propager son combat et ses rêves sur l’instrumentalité harmonieuse du groupe The Handcart. Pablo Moses (photo), en bon rasta de 69 ans, a répandu toute sa force de vie au beau milieu de ce parc des expos du Centre de la France. Drôle de contraste entre la notoriété et le respect qu’impose Moses et le public, beaucoup plus éparse, en cette fin de soirée. Le jamaïcain déroule avec passion son nouvel album « The Itinuation », produit par Harrison Stafford, tout en faisant ses plus grandes chansons : Revolutionary Dream, A Song, Pave The Way ou Rastaman. Porté par une horde de musiciens de grande qualité, dotée d’une justesse rythmique et mélodique digne des célèbres instrumentistes de l’île verte, Pablo Moses a chanté son combat révolutionnaire avec ferveur et croyance. Mais à Issoudun comme ailleurs, la révolution rasta n’a pas le même succès que l’hymne de nos campagnes.

Dimanche, on profite du petit camping à côté de l’IUT pour se marrer. On salue Harrison, toujours aussi humain et passionnant. On discute avec les derniers survivants et puis on se retrouve entre nous, à 200 personnes, pour Vanupié qui ouvre la fin d’après-midi. Et quelle découverte fut-il ! Avec un timbre magnifique, Vanupié nous envoûte avec sa guitare et nous invite à entrer dans celui qu’il est : un mec paumé, amoureux, rêveur effréné. Ses discours semblent simplistes mais sont terriblement touchants. Sa voix émerveille la petite audience, qui le lui rend bien. On se sent à la maison et on a l’impression d’être avec Rom, vous savez le pote qui sort la gratte au coin du feu pour séduire la brune mystérieuse… Sauf que Vanupié sait chanter !

Et puis, la délivrance : le « Liberation Time » est venu. Comme à la maison, devant une centaine de personnes, Brain Damage et Harrison Stafford ont déroulé 1h30 d’un set magique. Un des pionniers du dub français, en collaboration avec une des voix les plus puissantes du reggae roots mondial. Portés par une harmonie spontanée, naturelle, les deux artistes accordent leurs instruments respectifs (les machines de Brain Damage, les cordes vocales d’Harrison) pour produire une euphonie musicale nouvelle. Brain Damage se prend la tête à deux mains, comme possédé par le rythme de sa basse. Harrison danse, Harrison chante, avec une ferveur qui transcende, avec une humanité débordante. La complicité entre les deux hommes est évidente et chacun prend le soin de mettre en valeur le travail de l’autre : en intro et en outro, Brain Damage envoie son dub très précis, très puissant qui casse la rythmique et fracasse le public. Au coeur du concert, Harrison Stafford prend, lui aussi, seul les commandes pour faire vibrer sa voix. Malgré la faible affluence (frustrant pour la qualité de leur travail et leur notoriété), les deux artistes nous ont éblouis par leur engagement, leur harmonie, leur passion. Après 20 ans de carrière, Harrison Stafford comme Brain Damage continuent de regorger de créativité, d’être en perpétuel mouvement, artistique et philosophique.

Nous repartons empli d’énergie, avec le sentiment d’avoir découvert un festival un peu à part : de Pinnacle à Issoudun, le reggae roots résonne. Grâce à Tryo et Dub Inc, qui assurent le liant. De la Q Discothèque de Bourges à Pablo Moses, n’est-ce pas le meilleure façon de réaliser ce Revolutionary Dream ?

Un grand merci à Denis Adam et à toute l’équipe du Reggae Temple pour leur accueil et leur gentillesse ce week-end.
Crédits photos (Dub Inc, Tryo) : BatVision

*Le prénom a été changé

Clem

Se réveiller tranquillement dans cette Concrete Jungle. Rouler à vélo en se disant que Demain c'est Loin. Prendre l'apéro à Chambacu et entendre gratter un peu de Guitare sud-américaine. Taper du pied sur Caldera. S'endormir à la belle étoile, laissant résonner le Groundation Chant. [Bob Marley | IAM | Aurita Castillo | La Rue Ketanou | Recondite | Groundation]

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